Pelures d'oignon, de Günter Grass est paru au Seuil dans la collection Cadre Vert, en octobre 2007 (410 pages, illustré, 22,80 €, ISBN 978-2-02093-395-7). Titre original : Beim Haüten der Zwiebel.
La vie à Langfuhr, ville portuaire, avec une base militaire (polonaise), un aérodrome, une fabrique de chocolat, devait être passionnante pour un enfant qui commençait à s'intéresser à l'Art (en collectionnant des images), à découvrir la littérature en puisant dans la bibliothèque de sa mère, et le cinéma américain (Harry Piel, Laurel et Hardy, Charlie Chaplin, Buster Keaton).
Mais voilà, Günter avait 10 ans lorsque les attaques contre les Juifs ont débuté et il ne s'est pas bien rendu compte lorsque le frère de sa mère disparut, puis un copain de classe, puis son professeur de latin... Il se tut et continua de vivre.
Plus tard, ce fut une joie pour lui d'entrer dans les Jungvolk, les louveteaux, la jeunesse hitlérienne pour les plus petits et de porter leur uniforme car « campements et jeux de plein air dans les forêts de la côte, feux de camp [...] » l'éloignaient de « l'étroitesse des contraintes familiales, loin du père, du papotage des clients », lui qui vivait dans une niche sous la fenêtre d'un appartement familial minuscule (p. 26).
Lorsqu'il eut 12 ans, la guerre était vraiment présente mais il continua de vivre comme un enfant, tira fierté d'entrer au lycée, progressait en géographie en même temps que les troupes allemandes avançaient, mais ses souvenirs, pelés comme un oignon, lui démontrent maintenant son incapacité à agir, à changer les choses, pire : il lui font comprendre sa culpabilité face au silence, lui qui a la langue pourtant bien pendue, et il écrit plusieurs fois : « Je me suis tu ».
Qu'aurait-il pu faire d'autre ? Avait-il le droit à l'indifférence ?
Désir d'héroïsme, intrépidité, volonté de fuir les parents, la petite sœur, le deux-pièces inconfortable, ... à 16 ans, Günter s'engagea, il rêvait depuis l'enfance d'être sous-marinier. Il était fasciné d'un côté par « la guerre comme aventure et comme épreuve virile » (Jünger, p. 95) et terrorisé de l'autre par le fait « que la guerre faisait de tout soldat un meurtrier » (Remarque, p. 95).
Au fur et à mesure qu'il pèle l'oignon et que ses souvenirs, clairs ou confus, reviennent à sa mémoire, l'auteur retrouve les références et les personnes qui l'ont conduit à écrire ses différents livres et à inventer ses personnages de fiction.
Günter n'a finalement pas réellement connu la guerre, du moins les combats, il a fui toujours à l'Ouest, devant l'armée russe, n'a jamais tiré, a été blessé, légèrement, a été soigné par des infirmières finlandaises à Marienbad – occupé par des soldats américains – puis transféré dans un camp de travail en Bavière avant d'être libéré en zone britannique. Il a travaillé dans une mine, a retrouvé sa famille, a encore travaillé comme tailleur de pierre, et surtout a découvert les filles, l'amour, la danse, le jazz, est devenu un artiste éclectique (dessin, peinture, sculpture, musique) et un célèbre écrivain (poèmes, nouvelles, romans).
Il raconte encore son mariage avec Anna, une Suissesse, leurs enfants, la mort de sa mère, ses voyages (Allemagne, Italie, France, Pologne), son premier livre « Les avantages des poules de vent », un recueil de poèmes et de dessins, qui s'est vendu à 375 exemplaires en 3 ans ! (À notre époque, quel éditeur accepterait ça ?). Il explique aussi les « ...fantômes vengeurs qui maintenant, un demi-siècle plus tard, frappent de nouveau à la porte et demandent à entrer. Le souvenir se fonde sur des souvenirs qui à leur tour sont en quête de souvenirs. C'est ainsi qu'il ressemble à l'oignon, dont chaque pelure qui tombe met au jour des choses depuis bien longtemps oubliées [...] » (p 256).
Ces pelures d'oignon sont un très beau témoignage, de l'enfance, de la guerre, de la vie pendant et après le conflit, du monde des artistes après-guerre. C'est peut-être un mea-culpa face à l'indifférence et à l'impuissance. C'est en tout cas une fenêtre ouverte sur la vie de Günter Grass et sur son œuvre.
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