Émission diffusée sur France 5 le jeudi 19 mars et disponible sur le site de La grande librairie.
Dans le cadre de la Semaine de la Langue française, François Busnel est à Dakar pour parler de la littérature africaine, en particulier sénégalaise, en tout cas de la littérature francophone africaine, qui est jeune (moins de 100 ans). Il va retrouver de nombreux invités au cours de cette émission riche en rythmes africains.
Amadou Lamine Sall explique que la langue française est entrée en Afrique par le Sénégal et que le premier agrégé de grammaire africain fut Léopold Sédar Senghor, un Sénégalais. Il parle de la négritude, qui est l'ensemble des valeurs des civilisations noires. À partir des années 60, la nouvelle littérature s'est adressée au peuple noir et plus aux Blancs, elle est devenue une littérature nationale, une littérature d'expression française qui permet de communiquer avec le monde. Actuellement, il y a encore une nouvelle littérature avec des jeunes, beaucoup de poésie, la littérature en langues nationales étant très présente mais peu connue à l'extérieur. Il est un fervent défenseur de la francophonie qui est la sauvegarde de la langue française. Amadou Lamine Sall est un grand poète sénégalais. Plus d'informations sur son site.
Abasse Ndione est un écrivain de romans policiers, un genre nouveau au Sénégal. Son dernier roman raconte comment les pirogues des pêcheurs sont volées pour aller aux Canaries. Le titre Mbeke mi est le bruit de la pirogue sur l'océan, il symbolise la tentation de la migration, du départ vers un paradis imaginé (Occident, Europe). Dans ce roman, deux pêcheurs décident de devenir convoyeurs et l'auteur dénonce ce commerce. Il comprend ceux qui partent mais pense que leur place est dans leur pays, il dit « je suis le témoin de mon époque », mais ne se veut pas un porte-drapeau ou un écrivain engagé.
Cheikh Hamidou Kane a publié un seul livre, il y a une cinquantaine d'années, L'aventure ambiguë dans lequel il raconte d'un côté la foi (il est musulman) et de l'autre l'école. Après des études à la Sorbonne, il retourne au Sénégal en 1958 et il analyse ce phénomène d'attraction/répulsion. Attraction pour la langue française apprise à l'école, qui donne l'occasion de s'exprimer avec une langue de culture, de transmettre sa pensée aux autres mais répulsion aussi car c'est la langue de l'ancien colonisateur qui ignorait les cultures, les valeurs éthiques et religieuses. Il explique dans son livre les repères de l'école et de la mosquée car au Sénégal, l'islam est orthodoxe avec le respect et la tolérance, et il conclut « il est possible d'apprendre sans oublier ».
Jean-Christophe Rufin, membre de l'Académie française depuis juin 2008, réside à l'Ambassade de France (il y a eu de nombreux écrivains diplomates ou ambassadeurs). Son dernier roman, Un léopard sur le garot commence avec les premiers jours de son arrivée durant la saison des pluies. Direction la pointe la plus à l'ouest du continent africain. Le Sénégal va-t-il inspirer son prochain roman ? Non, il ne peut pas écrire directement sur le Sénégal, il a un devoir de réserve. Par contre, il s'intéresse à la littérature sénégalaise, celle qui se fait ici, pas celle des expatriés. Il pense que l'avenir de la francophonie dépend des Français, qu'il faut se donner les moyens de rester fidèles à cette tradition, de valoriser cette filière francophone jusqu'au bout. J'avais lu Le parfum d'Adam il y a bientôt deux ans.
Ken Bugul est une Sénégalaise qui vit au Bénin. Depuis une vingtaine d'années, elle publie des romans qui font scandale car elle dénonce les viols, l'inceste, l'excision... Ken Bugul est un pseudonyme qui signifie « personne n'en veut ». Son premier livre Le baobab bleu paru en 1982 a été bien accueilli car c'était un roman, pas un essai, mais elle a attiré l'attention sur le culte de la viriginité (le fait de vérifier étant déjà un viol). Dans Riwan, elle raconte pourquoi elle a accepté d'être l'épouse d'un homme polygame et comment de femme rejetée par la société, elle a pu avoir un nouveau statut. Elle défend la francophonie, car elle écrit « en français mais pas du français » car le rythme est différent (à cause de la manière dont elle a appris le français dans son village en tant qu'indigène).
François Busnel nous entraîne ensuite dans la Librairie des 4 vents, la plus grande de Dakar, qui existe depuis plus de 35 ans. La libraire, Mona Hachem est d'origine libanaise mais sa famille vit là depuis trois générations. Elle dit que « les gens sont assoiffés de littérature à Dakar ». Son coup de coeur est Tounka d'Abdoulaye Sadji paru chez Présence africaine (c'est l'histoire du peuple fondateur) mais il y a aussi L'enfant peul d'Hamadou Ampâté Bâ, les livres de Mariama Bâ et bien sûr ceux du maître, Léopold Sedar Senghor.
Ousmane Sow est un sculpteur de réputation internationale et plusieurs livres de rétrospective des ses sculptures sont parus. C'est un solitaire dont le premier contact avec l'Art a été la poésie (« Je suis un rêveur », dit-il). Il se dit intéressé par les choses qu'il comprend parce qu'il n'est pas un aventurier intellectuel. Je suis impressionnée devant ses sculptures monumentales et étonnée d'apprendre que certaines ont été détruites pour en faire d'autres et pour avoir de la place !
Devant un large point d'eau, François Busnel se demande si les canards de Central Park se rendent à Dakar... Référence à l'émission spéciale sur les écrivains de New York.
Direction ensuite l'île de Gorée, par où sont arrivés les Européens : les premiers colons étaient Portugais au 15è siècle puis ce fut les Hollandais au 16è et enfin les Français au 17è. Malheureusement, l'esclavage avait commencé bien avant l'arrivée des Européens... Car il y a eu deux traites : celle des Blancs et celle des Arabo-musulmans. Le livre de Tidiane N'Diaye (écrivain, anthropologue, spécialiste de l'histoire africaine) sur la traite des Noirs par les Arabes, intitulé Le génocide voilé est encore un tabou. Pourtant la traite occidentale a touché entre 9 et 11 millions de Noirs dont les descendants peuplent maintenant l'Amérique. Alors que la traite Arabo-musulmane a touché pendant 13 siècles plus de 17 millions de Noirs, qui ont été déportés, tués, et qui ont laissé très peu ou pas du tout de descendants à cause de la castration... L'Afrique a été victime de racisme, les Noirs traités en sous-hommes et le monde arabo-musulman a perpétré un véritable génocide par une « volonté manifeste de vouloir éliminer un peuple » mais l'auteur pense que ce sujet reste tabou à cause de la religion. Pour donner un exemple des très rares survivants, il cite les 2000 individus issus de peuples noirs en Irak, dont 90 % sont analphabètes et qui sont marginalisés et maltraités... Plus d'informations sur son site.
Tierno Monénembo, exilé depuis 35 ans en France, est l'auteur du roman Le roi de Kahel (prix Renaudot), « un récit romanesque mais d'une histoire vraie », celle d'un Français, Aimé Olivier de Sanderval qui décide de devenir roi d'une parcelle de terre. Le romancier voit ce héros comme une exception : « un colonialiste qui cherche à comprendre, romantique, solitaire, aventurier, qui veut bâtir le royaume de l'enfance ; influencé par les récits des aventuriers, il veut se bâtir son royaume à lui, c'est un original » et ce roman est un peu « une farce, burlesque, une parodie de la colonisation, une métaphore ironique de cette colonisation, une ambition de bâtir un monde à partir de ses propres idées, avec un colonisateur pas violent, qui ne ne veut pas conquérir, qui veut séduire, qui va battre monnaie... ». Tierno Monénembo cherche à déclencher « un rire sain » car plus de 50 ans après la décolonisation, il faut passer à autre chose, ne pas idéaliser et « porter un regard critique sur notre propre société ».
À la question « quel est le rôle d'un écrivain en Afrique », le romancier répond « le devoir de la folie : dire ce que les autres n'osent pas dire, fait ce que les autres ne peuvent pas faire ».
Alors un « renouveau des lettres africaines » ? Oui, « ce n'est plus une petite chose marginale, c'est en train de devenir une réalité mondiale ».
Très belle émission, enrichissante, chaleureuse, colorée et diversifiée dans laquelle on découvre des auteurs dont on avait seulement « entendu parler » et qui donne envie de lire plus la littérature africaine.