Les amants de le mer Rouge est le premier roman de Sulaiman Addonia. Il est paru en avril 2009 chez Flammarion (311 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-0812-1707-2).
Sur le site de l'éditeur, il est possible de lire le premier chapitre (au format pdf).
Peu de renseignements sur ce jeune auteur...
Né en 1974 en Érythrée, d'un père éthiopien et d'une mère érythréenne, Sulaiman S.M.Y. Addonia a passé son enfance dans un camp de réfugiés au Soudan (après le massacre d'Om Hajar) avant de se réfugier avec son frère, en Arabie saoudite. En 1990, il obtient l'asile (avec son frère) en Angleterre où il a étudié (à l'University College de Londres) et où il vit toujours.
Plus d'infos sur The consequences of love (en anglais).
Je remercie Chez les Filles et les éditions Flammarion de m'avoir fait parvenir cet ouvrage (la couverture est vraiment belle et donne envie de le lire).
Lorsque Suzanne m'a contactée pour me proposer ce livre, j'ai accepté avec enthousiasme n'ayant jamais lu de littérature érythréenne et appréciant de lire des premiers romans pour découvrir de nouveaux auteurs, parfois prometteurs.
Mais quand j'ai vu de quoi parlait exactement le roman (je pensais à une simple histoire d'amour impossible), j'ai eu quelques craintes : comment parler d'un livre qui dénonce à ce point les violences en pays musulmans sans attirer le courroux de la police de la pensée et me faire traiter de raciste ou d'islamophobe ?
Alors, j'irai droit au but : oui ce livre parle de pédophilie, d'homosexualité forcée, d'abus sexuels et de viols, de la violence faite aux enfants, aux femmes (et aussi aux hommes) dans le monde musulman (je suis encore sous le choc) mais il raconte aussi une belle histoire d'amour entre le narrateur et une jeune femme.
Nasser a dix ans et son frère, Ibrahim, trois ans, lorsque leur mère (Raheema) leur fait quitter le camp de réfugiés où ils vivent depuis cinq mois et les envoie à Djeddah. Là vit leur oncle (le frère aîné de leur mère). « Mon chéri, si je fais ça, c'est parce que je vous aime. » (page 11). Au début Nasser refuse évidemment de quitter sa mère, mais l'oncle le persuade... « Finalement, j'ai changé d'avis lorsqu'il m'a annoncé que l'Arabie saoudite était l'un des endroits les plus riches de la terre et que je pourrais y gagner des montagnes d'argent pour ma mère. » (page 24). Ah, l'attrait de la richesse...
La séparation est déchirante et ce qui suit l'est plus encore même si Nasser, avec ses yeux d'enfants, est émerveillé par tout ce qu'il voit à son arrivée : les voitures, les routes bien lisses sans ornières, les hauts immeubles, les rues illuminées, les tunnels, « la télévision, le grand canapé noir à bandes rouges et l'épaisse moquette bleue » (page 27).
Juillet 1989, Nasser est à Djeddah depuis dix ans maintenant. Il n'a pas de nouvelles de sa mère, ses lettres lui étant systématiquement retournées. Il n'en a pas plus de son oncle qui l'a mis dehors cinq ans auparavant et qui est parti vivre à Riyad avec Ibrahim. Il occupe « un minuscule appartement dans un immeuble de deux étages. » (page 15) car il gagne « à peine quatre cent riyals par mois en lavant des voitures. » (page 15). Dans son journal, il raconte son quotidien, ses quelques amis, sa crainte de l'imam aveugle mais intégriste et de la police religieuse qui patrouille en Jeep matraque à la main, les regards lubriques et les caresses des hommes (et plus) dans le café de Jassim, les spectacles sur la place du Châtiment où le bourreau coupe « les têtes ou les mains » et où les amants sont « fouettés, décapités ou lapidés. » (page 22), le parfum qu'il ingurgite car l'alcool est interdit, ses moments de paix sous un rocher face à la mer Rouge (en face, c'est l'Érythrée, c'est sa mère si elle est encore en vie...).
Seul cet été, sans ami (deux sont en vacances, deux ont rejoint l'imam et sont partis en Afghanistan), Nasser est nostalgique et se souvient de ces dix ans passés à Djeddah : le choc en voyant les femmes intégralement couvertes par des abayas (longues robes noires), son oncle qui l'envoie renouveler leurs iqamas (permis de séjour) sans argent auprès du kafil (parrain, obligatoire pour tout étranger) qui évidemment abuse de lui, l'obligation d'arrêter l'école et de travailler (pour un salaire de misère) puisque l'université est interdite aux étrangers... Charmant pays !
Un jour, alors qu'il se repose sous un arbre, une femme (jeune ? belle ? comment savoir ?) lui jette un petit papier, quelques mots d'amour. C'est vraiment très dangereux mais elle lui en jette un autre quelques jours après : « je suis tombée amoureuse de toi il y a plus d'un an. » (page 79). Et là commence l'histoire d'amour entre Nasser et celle qu'il a surnommée Fiore (ou « la fille aux chaussures roses » car comment la reconnaîtrait-il si elle n'avait pas eu l'idée de porter ce signe distinctif ? Quand même, des chaussures rose fushia, quelle vulgarité...), « je me sentais envahi par la chaleur de ses mots. » (page 79). Pendant six mois, ils vont ruser et utiliser des subterfuges pour se croiser, s'échanger des lettres (la méthode est amusante), et enfin se rencontrer et assouvir leur soif de contacts charnels.
Les amants de la mer Rouge ou « les conséquences de l'amour » est un beau roman, émouvant et cruel mais juste une petite chose : ce n'est pas de la littérature érythréenne... Donc il me reste encore à la découvrir !