Le goût en héritage, de Natsume Sôseki (1867-1916)
in Échos illusoires du luth ; Le serpent à plumes, nouvelles, 2008, 186 pages, ISBN 978-2-268-06654-7.
Dans ce recueil, deux nouvelles indépendantes : Échos illusoires du luth et Le goût en héritage. Pour que l'article ne soit pas trop long, je vous les présente séparément. Voici donc la deuxième nouvelle, la première étant ici.
Le goût en héritage, Shumi no iden, traduit du japonais par Hélène Morita
Un jeune professeur (dont les recherches concernent l'hérédité) a rendez-vous avec un ami dans une gare mais ce dernier n'est pas encore arrivé. Par contre, la gare et ses abords sont remplis de personnes attendant le retour du front des soldats victorieux (guerre russo-japonaise, 1904-1905). « Des hommes dans mon genre, qui respirent rarement un autre air que celui des bibliothèques, n'ont pas souvent le loisir de se rendre à la gare de Shimbashi pour fêter des héros. Je décidai donc de saisir la balle au bond. » (page 81).
De plus il est surpris par la présence d'Occidentaux : « Je remarquai la présence de quelques Européens, venus spécialement admirer le spectacle. Si même des Européens jugeaient utile de se déplacer, il allait de soi que moi, modeste sujet de l'empereur, j'avais l'obligation morale de participer à cette célébration. » (page 82).
J'ai appris que « Les deux caractères chinois « Banzai », lus littéralement, signifient simplement : « dix mille années ». » (page 87), moi qui pensait que ce n'était qu'un cri de ralliement, nationaliste et guerrier...
À la vue de tous ces hommes brunis par le soleil de Mandchourie, le narrateur se remémore la mort de son ami Kô et de milliers d'autres hommes devant la forteresse d'Ehr Lung-Shan. « Et bien entendu, puisqu'ils étaient morts, ils ne pouvaient plus ressortir. Il n'aurait pas été raisonnable de s'attendre à ce que des hommes, gisant les uns sur les autres dans une excavation oubliée, tels des navets fermentés sur lesquels pèse une lourde pierre, émergent de leur boyau. [...] Quand les yeux se sont obscurcis. Quand on a la poitrine trouée. Quand le sang ne circule plus. La cervelle écrabouillée. L'épaule arrachée, le corps raide comme un bâton. On ne grimpe plus jamais, même une fois dissipée la fumée des obus tirés [...]. » (page 111). « On aura beau remuer ciel et terre durant les trente-six mille jours du siècle à venir pour leur venir en aide, les hommes qui ont plongé dans les tranchées ne reviendront plus. » (page 112).
Comme vous pouvez le voir avec ces extraits, ce récit est admirablement écrit. Mais il ne parle pas que de la guerre, puisqu'un an après la mort de son ami, le jeune homme, se rendant au cimetière du Jakkô-in, rencontre sur la tombe de Kô la jeune femme que le disparu avait aimée. Sa vie en est bouleversée : « Jamais je n'ai été aussi profondément ébranlé que par cette vision. Aucune femme ne m'a paru aussi belle que celle-ci. » (page 127). Son but devient alors « identifier cette femme, la retrouver et la questionner » (page 165).
Un très beau récit, émouvant et profond, dans lequel on peut voir l'âme du Japon et la douleur des familles, des mères en particulier, qui perdent leurs enfants à la guerre.
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