Mangez-le si vous voulez est un « roman » de Jean Teulé paru aux éditions Julliard en mai 2009 (135 pages, illustré, 17 €, ISBN 978-2-260-01772-1).
Puisque ce livre n'est pas une fiction mais une histoire vraie racontée avec précision par l'auteur, je le vois plus comme un récit que comme un roman ! Je trouve que le mot 'roman' sur la couverture est même malvenu...
Jean Teulé est né le 26 février 1953 à Saint-Lô (Manche). Il est vraiment éclectique : écrivain, auteur de bandes dessinées, scénariste mais aussi acteur et réalisateur. D'ailleurs si je n'avais jamais rien lu de lui jusqu'à maintenant, j'avais vu (et apprécié) Darling avec Marina Foïs.
« Une bien belle journée !... » (page 7). Voici pourtant le dernier jour de la courte vie d'Alain de Monéys qui se réveille dans la demeure de ses parents bien-aimés à Bretanges.
Élu à l'unanimité premier adjoint de Beaussac, ce jeune homme brillant de 28 ans, aimé et respecté de tous, vient de mettre au point un excellent projet d'assainissement de la Nizonne. Son seul point faible : il a une constitution fragile mais, ayant refusé la décision du conseil de révision, il va quand même partir au front, en Lorraine, se battre contre les Prussiens.
En ce 16 août 1870, il se rend comme chaque année à la frairie annuelle de Hautefaye, le village voisin. Ce sera l'occasion de voir tous ses amis avant son départ et, toujours prêt à rendre service, il veut aussi acheter une vache pour une voisine indigente, commander un charpentier pour réparer le toit brûlé d'une grange et rencontrer le notaire pour régler certaines affaires du domaine familial. Bref, c'est un bon fils et un bon gars (et on se demande pourquoi il n'est pas encore marié ! Peut-être parce qu'il boite...).
Sur les 3 kilomètres de route entre Bretanges et Hautefaye, qu'il fait à dos de cheval, il croise beaucoup de connaissances. « Il arrive paisiblement à la foire » (page 19), il est 14 h et il aperçoit son cousin, Camille de Maillard, fuyant un groupe d'hommes mécontents car il leur a lu le journal. Il faut dire que c'est la sécheresse depuis des semaines, qu'une comète est passée (ah, les superstitions...), que les nouvelles de la guerre ne sont pas bonnes et que certains ont déjà bien bu.
Alain de Monéys va alors être pris à parti par des hommes qui ne savent pas lire et qui refusant d'entendre raison, le prennent pour... un Prussien ! Il va vivre l'enfer jusqu'au soir lorsque les gendarmes arriveront de Nontron et que le médecin le déclarera mort.
Devant les 600 personnes qui le maltraitent, l'insultent, le torturent, seuls 4 amis lui viendront en aide (et leur nom méritent d'être cités : Pierre Antony, Bouteaudon le meunier, Philippe Dubois, Mazerat le bûcheron) ainsi que la jeune servante qui lui plaît bien, Anna Mondout (et dans une certaine limite, l'aubergiste, Élie, oncle d'Anna) et le curé, le Père Victor Saint-Pasteur. La femme de l'instituteur a rejoint la foule et le maire, couard et préférant terminer de manger, dira « totalement dépassé par les événements » : « Mangez-le si vous voulez. » (page 92).
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Comment ces gens-là ont-il pu croire qu'un Prussien était dans leur village ? À plusieurs centaines de kilomètres des combats... Et que serait-il venu faire là ? Boire une bière ? Mais que faire face une foule stupide, inculte, hystérique et violente qui n'attendait qu'une étincelle - si infime soit-elle - pour s'enflammer et laisser déferler sa colère ? On aurait envie de dire que c'est inhumain, mais au contraire, c'est tellement humain, cette envie de violence, ce besoin de défoulement, cette barbarie, cette volonté de punir un innocent (le symbole de l'Agneau...) pour échapper à sa condition de faible, d'inutile, de raté. Les humains tentent d'échapper à cela avec la civilisation mais régulièrement, la barbarie fait parler d'elle...
C'est bizarre parce que j'ai lu en même temps Nouveaux Indiens, de Jocelyn Bonnerave (anthropologue) - roman de la rentrée littéraire -, et si les deux livres sont différents, ils se rejoignent au niveau du cannibalisme et du sacrifice !
En tout cas, Mangez-le si vous voulez se lit rapidement (je l'ai lu d'une traite, en une heure) mais il est très éprouvant et j'avoue qu'à la fin mes nerfs ont lâché (quand j'ai vu que la « justice » punissait moins de vingt personnes alors que plus de 600 ont participé au carnage...). |