After tears est un roman de Niq Mhlongo paru aux éditions Yago en mars 2010 (307 pages, 20 €, ISBN 978-2-916209-74-6). After tears (2007) est traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Laura Derajimski.
Comme littérature sud-africaine, j'ai déjà lu Chambre 207, de Kgebetli Moele qui m'avait beaucoup plu donc lorsque Gilles Paris m'a proposé cet autre roman paru aux éditions Yago, je n'ai pas hésité et je suis bien contente d'avoir également découvert cet auteur qui fait partie de la nouvelle génération d'écrivains post-apartheid, appelée aussi « génération kwaito » (il était lycéen lors de la libération de Nelson Mandela).
Niq Mhlongo (de son vrai nom Muhhandziwa Nicholas Mhlongo) est né à Soweto (Johannesbourg, Afrique du Sud) en 1973 dans une famille nombreuse (dix enfants). Contrairement au personnage de son roman, il a réussi ses études de littérature africaine et de sciences politiques, mais a ensuite abandonné le Droit pour écrire son premier roman, Dog eat dog (2004).
Je me suis demandé ce que signifiait le titre After tears et on ne l'apprend qu'à la fin du roman (page 266) donc je préfère ne rien dire, d'accord ?
Le roman se déroule entre le 22 novembre 1999 et le 9 mai 2000, avec le passage du nouveau millénaire (c'est ce qui est dit dans le roman, n'est-ce pas, mais il me semble que le nouveau millénaire commençait plutôt au premier janvier 2001 et pas 2000...).
L'instant de vie qui est donné au lecteur commence donc fin novembre 1999. « Et voilà. J'en avais assez du Cap. L'océan Atlantique glacial, les plages de sable blanc, la Montagne de la Table, le front de mer, tout ce qui m'avait jadis semblé magnifique dans cette ville s'était soudain enlaidi. Je me résolus en cet instant, devant le tableau d'affichage, à rentrer faire mes bagages et à partir pour de bon. » (page 11, début du roman). Après quatre ans d'études, Bafana Kuzwayo vient de rater son Droit. Le monde s'écroule, il rentre dans sa ville natale, Jo'burg (Johannesbourg) dans le quartier de Soweto où il a grandi.
L'oncle Nyawana vient le chercher à Park Station avec ses amis car il est fier de son unique neveu. En fait, personne n'a jamais pensé qu'il pourrait rater son diplôme, tout le monde l'imagine déjà avocat et son oncle l'a même déjà surnommé Avo. « Écoute-moi bien, Avo, je suis bien content que tu aies obtenu ton diplôme de droit. Félicitations ! » (page 23). Que faire ? Se taire...
Bafana ne souhaite pas mentir à sa mère mais « Elle avait totalement exclu l'éventualité d'un échec, ce qui venait malheureusement d'arriver. » (page 14) alors il laisse croire et se retrouve pris dans l'engrenage du mensonge... Par omission. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé de dire la vérité : « 'Euuuh...' Ma réponse fut longue à venir. 'Justement, j'espérais pouvoir en discuter avec toi, Mama'. » (page 32). Et comment décevoir son vieil oncle (le frère de sa mère), alcoolique et divorcé, qui lui dit : « Tes rêves sont réalistes parce que tu es instruit. » (page 61) et sa mère qui insiste pour qu'il « postule à un emploi de conseiller juridique, bien que [il n'ait] pas l'expérience requise. » (page 108) ? « Mon sentiment de culpabilité augmentait de jour en jour et l'envie pressante d'avouer mon échec à Mama devenait insoutenable. » (page 127).
Le malheureux Bafana (il est quand même vraiment à plaindre) est alors confronté à la dure réalité de la vie des pauvres à Soweto. L'alcool, le tabac, la drogue, le chômage, la musique, les filles vulgaires : « Les filles me déplurent aussitôt ; c'était le genre qu'il ne m'intéressait pas de connaître. À observer leur comportement et à les écouter parler, je savais qu'il me faudrait faire un gros effort d'adaptation si je voulais vivre à nouveau dans le township. » (page 93).
Il y a le sida aussi et la méconnaissance totale de cette maladie de la part de la population pauvre (rumeurs, refus de se soigner, contamination volontaire pour ne pas travailler et percevoir des allocations du gouvernement...).
Il y a la jalousie envers ceux qui ont réussi (les femmes en particulier) et le racisme des Noirs envers les autres Noirs : Bafana a une copine du Zim (Zimbabwe) qui doit renouveler son permis de travail tous les trois mois et il rencontre un Nigérian qui fait du business.
Et puis il y a la situation post-apartheid du pays (politique, économique et sociale) : l'ANC, parti pour lequel les Noirs ont voté en masse, se comporte comme les Blancs, comme les capitalistes, laissant les pauvres sur le carreau. L'échec du jeune Bafana symbolise alors l'échec de tout un pays, de tous les pauvres, de tous ceux qui galèrent, de tous ceux qui sont déçus et désœuvrés.
C'est un grand roman que je viens de lire ! Un roman représentatif de l'Afrique du Sud de ce début de XXIe siècle, avec une vision précise (pas édulcorée) de ce pays cosmopolite, et un peu d'espoir sans doute... En tout cas, Niq Mhlongo fait partie d'une nouvelle génération d'auteurs à suivre absolument !
Mon avis sur la couverture : j'ai l'impression que l'Afrique du Sud est le corps, on y met une tête (celle de Nelson Mandela qui symbolise le gouvernement) et on lui greffe des mains (qui représentent ceux qui travaillent, une minorité), mais ce n'est pas suffisant, ça reste quelque chose d'incomplet, de mal articulé. Qu'en pensez-vous ?
Un tout petit point, pas négatif mais embêtant, c'est le glossaire en fin de volume, pénible à consulter... Mais il est quand même indispensable car, comme le dit la traductrice, les mots utilisés par l'auteur « illustrent la diversité ethnique et lexicale des townships, où se mêlent indifféremment anglais, afrikaans, zoulou, sesotho, xhosa, ndébélé, swazi, venda, pedi, tswana et tsonga. […] ce mélange de langage, appelé Scamto ou 'parler du township' […]. » (page 9).
Je remercie encore Gilles Paris pour cette excellente lecture qui a ouvert mon horizon et me donne l'occasion de démarrer un deuxième tour du Safari littéraire organisé par Tiphanya. Et je félicite les éditions Yago pour leur politique éditoriale car c'est déjà le troisième roman édité par cette jeune maison d'édition que je lis et je ne suis pas déçue (les deux premiers étaient Le bateau-usine, de Takiji Kobayashi en novembre 2009 et Chambre 207, de Kgebetli Moele en février 2010).
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