Cinacittà, mémoires de mon crime atroce est un roman de Tommaso Pincio paru aux éditions Asphalte le 2 juin 2011 (308 pages, 20 €, ISBN 978-2-918767-13-8). Cinacittà, memorie del moi delitto efferato (2008) est traduit de l'italien par Sarah Guilmault.
Je remercie News Book et les éditions Asphalte de m'avoir envoyé ce roman : comme l'auteur est italien, j'en profite pour le présenter dans le challenge Giro in Italia de Nane.
Tommasio Pincio – Marco Colapietro – est né en 1963 à Rome. Son pseudonyme (*) est la traduction en italien de Thomas Pynchon ! Il écrit pour Rolling Stones et les pages culturelles de journaux italiens.
(*) Pincio (cité page 119 du roman) est aussi une colline de Rome mais elle ne fait par partie des Sept Collines qui représentent l'enceinte de la Rome antique.
Du même auteur : M (1999), La ragazza che non era lei (2005), Gli alieni. Dove si racconta come e perché gli extraterrestri sono giunti fra noi (2006), Hotel a zero stelle. Inferni e paradisi di uno scrittore senza fissa dimora (2011).
Ses romans traduits en français : Le silence de l'espace (Lo spazio sfinito, 2000) mettait en scène Jack Kerouac et Un amour d'outremonde (Un amore dell'altro mondo, 2002) Kurt Cobain.
Plus d'infos sur son site officiel et sur son blog.
Une année sans été puis une année sans hiver... Rome n'est plus la ville que l'on connaît.
Rome désertée par ses habitants... Les Romains fuyant la canicule, la pauvreté, la violence (des voitures explosent) sont partis dans le Nord, jusqu'au Danemark.
Rome envahie par les Chinois est devenue Cinacittà !
Dans cette Rome, il reste très peu de Romains... Il reste le narrateur, qui raconte son « crime atroce » du fond de sa cellule de la prison de Regina Cœli. Il reste aussi un vieux juge et un jeune avocat, Trevi.
Le narrateur a une quarantaine d'années. Il a dirigé une galerie d'Art contemporain mais depuis la canicule, il se laissait vivre et se qualifie même comme un « gaspilleur d'existence ».
Après avoir rencontré Wang dans un go-go bar de la Cité Interdite, il s'est installé à l'Excelsior, un hôtel de luxe devenu accessible depuis sa « reprise » par des Chinois et l'arrivée de la nouvelle monnaie, le Globe.
« J'ai tout perdu. Mon âme s'est évaporée, elle s'est évanouie avec le peu qu'il y avait à l'intérieur. Il ne me reste que les faits, et être romain en est un. Ici, à Rome, j'ai gâché mon existence, et ici également je suis resté quand a commencé ce grand et célèbre été qui ne s'est jamais terminé. […]. » (pages 12-13).
Retrouvé dans sa chambre d'hôtel, allongé sur le lit près du cadavre de Yin, une jeune prostituée chinoise dont il était tombé amoureux, évidemment couvert de sang, le Romain ne sait pas comment prouver son innocence.
Aurait-il été manipulé par Wang ? Par Ho, le patron de l'hôtel ? Par Yin ?
Je n'avais jamais entendu parler de Tommaso Pincio et de ses romans avant, c'est donc une grande découverte ; par contre, je connaissais déjà les éditions Asphalte puisque j'avais déjà lu Icelander, de Dustin Long en janvier.
Cinacittà est un roman intrigant. On ne sait pas exactement quand l'histoire se déroule mais c'est sûrement dans un futur plus ou moins proche. On ne connaîtra jamais non plus le nom du narrateur, il est le Romain, et il représente à mon avis tous les Romains, spoliés de leur ville et de leur vie. Il est donc un peu comme un symbole, une victime expiatoire.
Oui, une victime, car vous vous en doutez, le Romain est innocent, mais il ne dit rien ni au juge ni à son avocat : pourquoi faire ? Il a déjà été jugé et condamné, la presse du monde entier l'a jugé coupable, et tout le monde l'a abandonné, sauf ce jeune avocat un peu fou et... opiomane.
Le narrateur n'est pas tendre...
- ni avec lui-même : il l'a bien cherché, il aurait mieux fait de partir au Danemark avec son ami Giulio, il s'est laissé piéger, il s'est même laissé condamner ;
- ni avec l'Art : « Dans les galeries, dans les musées, dans les salons, dans les salles de vente et même dans les ateliers d'artistes. Partout la même histoire, une mise en scène indigne. Au bout du compte, l'argent était toujours là, il n'y avait que ça. Tous ces discours de haute volée, toute cette finesse pour cet unique but. L'art n'était qu'une excuse, un masque, un fard derrière lequel se cacher. » (page 114) ;
- ni avec les Romains : « Le signe distinctif de l'authenticité romaine est sa sublime ignorance. Je connais bien le phénomène. Simplement parce qu'il est né à Rome, le Romain est persuadé de savoir tout sur tout, alors qu'il ne sait absolument rien. Et quand il s'en rend compte, sa première réaction est l'indifférence la plus totale […]. Rien ne l'émeut, rien ne le remue. C'est une pierre dans une ville de pierres. […]. » (pages 17-18) ;
- ni avec les Chinois : « Pour les Chinois, il n'existe pas de meilleure preuve d'amour que de dépenser de l'argent. L'ostentation et la vénalité ne sont pas des défauts, pour eux. […]. » (page 100).
De toute façon, les inégalités sont flagrantes entre les Chinois qui dirigent et contrôlent tout et le peu de Romains restés à Rome : par exemple, Monsieur Wu organisait des chasses à la vierge et ses hommes de main ont enlevé pour lui une cinquantaine de jeunes filles mineures qu'il a battues et violées (deux en sont mortes), eh bien il a écopé de 3 ans de prison seulement, il faut dire qu'il est très riche et respecté... Le narrateur lui, bien qu'innocent du crime atroce dont on l'a jugé coupable, le meurtre d'une jeune femme, en a pris pour 21 ans, et encore il a évité la perpétuité !
« Je suis conscient d'avoir des préjugés à leur égard. Et pour cause. Un autre à ma place dirait bien pire. C'est de toute façon un fait : n'ayant d'objectif qu'à court terme, ils salissent tout ce qu'ils envahissent. Où qu'on soit sur la planète, les Chinatowns sont des cercles infernaux où les Chinois s'amusent à se massacrer entre eux en s'enrichissant sur le dos de nous autres, Occidentaux. La Cinacittà romaine représente le nec plus ultra dans le genre, la bouche des enfers. » (page 90). Waow... Personne ne crie au scandale ? Au racisme anti-chinois ?
Mais il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir... « Le gaspillage de mon existence prenait le rythme serein des eaux claires du Tibre, quand il y avait encore de l'eau. Tout semblait immuable et je m'en félicitais. Mais les apparences sont trompeuses. Derrière le calme plat de mes nuits, des choses se passaient, des bouleversements se préparaient. Je ne m'en rendais probablement pas compte ou alors j'évitais de leur accorder de l'importance. Je me disais que, dans le fond, il ne s'agissait que de petites choses, que rien n'atteindrait ma façon de vivre ou la modifierait. […]. » (page 194).
Un coup de cœur pour ce roman dans lequel je me suis sentie privilégiée, eh oui puisque le narrateur n'a rien raconté ni au juge ni à son avocat, mais qu'il raconte tout au lecteur, privilège donc : que le lecteur va-t-il faire de ce privilège...
« Telle est la Rome d'aujourd'hui, le lieu de la mort et de l'absurde. » (page 47). Prémonitoire ?
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