Formose est une bande dessinée de Li-Chin LIN parue aux éditions ça et là dans la collection Longues distances en novembre 2011 (256 pages, 22 €, ISBN 978-2-916207-62-9).
« 1973. Hergé a visité Taïwan en septembre. Je suis née quelques mois plus tard... » (page 8) : une façon toute simple pour l'auteur de dire qu'elle est une héritière de la bande dessinée européenne, elle qui est née à l'autre bout du monde, à Taïwan et qui vit en France.
Ce que Li-Chin Lin raconte, c'est son histoire, et à travers son histoire, celle de sa famille, de son île, Formose devenue Taïwan. Alors que Taipei, la capitale, est au nord, Lin a grandi à Lin Bian, au sud avec ses parents et ses grands-parents paternels.
Li-Chin a six ans, elle vient de gagner le premier prix du concours de dessin anticommuniste. Ce prix peut nous paraître étrange, mais la Chine communiste est juste en face et représente un danger pour la petite île isolée. Lin grandit avec d'un côté les idées patriotiques de Taïwan et de l'autre la culture japonaise (dessins animés, manga, chansons) qui envahit l'Asie. « Impossible de résister à la culture pop japonaise. » (page 45) et grâce à cette culture différente, Li-Chin découvre « d'autres univers » (page 48).
Mais, comme la Chine, le Japon est un ennemi : il a colonisé Formose pendant un demi-siècle. Pourtant certains ont la nostalgie de la colonisation japonaise et Li-Chin a honte de ses grands-parents. Mais le Japon est « fascinant » : « C'était un vrai dilemme pour moi, petite écolière taïwanaise : fallait-il aimer ou haïr le Japon ? » (page 50).
Ainsi va, dans ces années-là, la vie d'une fillette et des enfants de Taïwan...
« Qui a chanté j'ai cinq maris au lieu de anticommuniste ? » et « Qui a chanté les huîtres frites au lieu de tuer les traîtres au peuple chinois ? » (page 16). C'est donc avec humour que Lin raconte tout ça.
Très tôt, Li-Chin se pose des questions sur l'histoire officielle. A-t-elle été déformée ? Les Taïwanais sont-ils des esclaves endoctrinés par le Japon ? Pourquoi l'histoire, les langues et la culture (marionnettes à gaine, opéra...) de Taïwan sont-elles méprisées ? Li-Chin va grandir et découvrir peu à peu la vérité.
En tout cas, elle explique bien comment les enfants taïwanais sont conditionnés pour devenir de vrais petits Chinois (anticommunistes bien sûr) parlant le mandarin sans accent et rejetant les cultures taïwanaise et japonaise.
« À cette époque, il n'y avait ni Internet ni Wikipédia. Les adultes se montraient critiques à la maison, mais ils ne nous ont jamais parlé de l'histoire qui a été effacée des livres scolaires. J'aimais lire, mais aucun livre ne parlait de la véritable histoire de Taïwan. Aucun. » (page 27).
Il y a très peu de cases mais il n'y a aucun problème pour suivre les dessins. Souvent il y a des idéogrammes chinois ou des kana japonais mais ce n'est pas grave si le lecteur ne comprend pas leur signification, ils font en fait partie du dessin. De temps en temps, Li-Chin se dessine de façon amusante, un peu comme le style chibi (mignon) japonais.
Et cette bande dessinée est passionnante ! Pour quelqu'un comme moi qui aime l'Asie, et qui a un ami à Taïwan, je découvre des choses sur cette île, sur le Japon et la Chine.
Je me demande si Li-Chin parle toutes ces langues (page 30) : le holo (langue taïwanaise), le japonais (langue de l'ancien colonisateur, langue de ses grands-parents), le hakka (langue maternelle de sa mère), l'anglais (langue internationale, langue défendue par son père) et le mandarin (langue chinoise), surtout connaissant la complexité du chinois et du japonais ! En plus, il y a les autres activités (piano, judo, dessin...), la vie des enfants taïwanais est vraiment très remplie ! « Le temps libre sert à étudier, pas à rêver. » (page 84). Le collège, le lycée à Taipei, le 6 avril 1989 à Tian-an-men, l'université où elle a décidé d'apprendre l'histoire « J'ai fait mon choix. Et les choix comportent des risques. » (page 151).
Li-Chin est née à Taïwan en 1973 et vit en France depuis 1999. Elle a étudié à l'École supérieure de l'Image à Angoulême puis à l'école d'animation La Poudrière à Valence. Courts-métrages d'animation, bande dessinée dès 2002 dans des fanzines, deux livres pour enfants (publiés à Taïwan), ateliers de bande dessinée. Formose est son premier roman graphique. (photo perso publiée en basse résolution).
Une lecture pour les challenges (Formose/Taïwan), Lire sous la contrainte (un seul mot), et Petit Bac 2013 (catégorie Lieu). |
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