Le bibliothécaire est un roman de Mikhaïl Elizarov paru aux éditions Calmann-Lévy dans la collection Interstices (384 pages, 21,50 € ISBN 978-2-7021-4130-4). Bibliothekar (2007) est traduit du russe par Françoise Mancip-Renaudie. C'est le 4e roman d'Elizarov mais le premier publié en France.
Mikhaïl Elizarov est né en 1973 à Kharkov mais vit à Moscou. Il é étudié la littérature, puis le cinéma à Hanovre. Son premier roman Ongles est paru en 2001 et à reçu le Russian Booker Prize.
« L'écrivain Dimitri Alexandrovitch Gromov (1910-1981) termina son existence dans les profondeurs de l'oubli. […] Les lecteurs de Gromov avaient été rares. » (page 11). Je me suis demandé si cet auteur avait existé ! Vraisemblablement non mais il représente les écrivains de la période soviétique. « Gromov était le fils d'un pays capable d'éditer plusieurs milliers d'auteurs que personne ne lisait. » (page 12). Et il est mort presque en même temps que le bloc communiste.
Après la mort de Gromov, tout a commencé avec V. M. Lagoudov : transporté par sa lecture de Gromov, il a fondé un clan, la bibliothèque. Il faut dire que les livres de Gromov – bien que racontant le quotidien soviétique, les soldats, les paysans et travailleurs valeureux – transforment ceux qui les lisent. « En fait, le monde alentour n'avait pas changé, mais l'homme en personne, celui qui avait lu le Livre ; une force secrète transfigurait son visage, son regard, sa posture […]. » (page 26).
V. M. Lagoudov a donc été le premier bibliothécaire. Peu à peu d'autres collectionneurs sont arrivés et des clans gromoviens se sont formés. Ceux de Nikolaï Iourevitch Choulga ou Elizaveta Makarovna Mokhova par exemple et plusieurs autres. De plus en plus. Chacun voulait pour sa collection les livres de la Joie, de la Mémoire, de la Patience, de la Force, du Pouvoir, etc. Chacun se battait pour obtenir des livres et conserver ceux qu'il possédait déjà. La fille unique et le frère de Gromov ont été démarchés mais ceux qui arrivaient trop tard se sentaient lésés, trahis.
Des escarmouches entre clans ont commencé, puis du vandalisme, des copies, des escroqueries et tout ça a débouché sur la sanglante bataille de Neverbino... Ensuite un Conseil des bibliothèques a été créé avec des règles et des impôts.
« C'est en ces temps troublés que je devins bibliothécaire. Ma cohorte était maître du Livre de la Mémoire, et comptait dix-sept lecteurs. » (page 55). En 1999, Alexei Viazintsev, surnommé Aliochka, doit en effet régler la succession de son oncle, Maxime Danilovitch (le frère de son père) mort (assassiné ?) plus d'un an auparavant. Il quitte son Ukraine natale et ses parents pour le nord de la Russie et se rend compte qu'il hérite d'un appartement de deux pièces et du poste de bibliothécaire. « Un sentiment étrange venait de me saisir. » (page 184).
Un jour, alors qu'il a déjà mis sa vie en danger plusieurs fois et qu'il a perdu des membres de sa cohorte, Alexei reçoit un livre rédigé par Gromov que personne ne connaît : le Livre du Sens.
« Gromov, le voici, là, sur cette petite carte... il a plus de soixante-dix ans... […]. » « Un vieil homme aux traits fins et expressifs me fixait ; sur cette photographie en noir et blanc, il avait plus l'air d'un physicien que d'un acteur lyrique, avec ses lunettes, son costume […]. Il donnait une étrange impression. » (page 340).
Quel étrange livre ! Très littéraire, très russe ! Parfois complètement surréaliste ! J'espère avoir bien compris les messages de l'auteur : des gens perdus, esseulés, qui se raccrochent à... ce qu'ils peuvent, ce qu'ils trouvent sur leur chemin, en l'occurrence un clan qui les accueille en son sein et qui en fait des personnes... un peu plus importantes ; des clans armés qui se réunissent autour, je dirais carrément d'une foi, qui sont prêts à tout pour vivre et s'étendre, et qui prennent plaisir à combattre jusqu'à la mort. Au milieu de toute cette folie, le jeune héros ne sait pas s'il est courageux au point de se battre pour des livres ! Autrefois manipulés par le Parti de l'Union soviétique, les hommes et les femmes se laissent maintenant manipulés par... autre chose, un autre chef, une autre foi... par nostalgie ? Des hommes et des femmes qui se battent cruellement pour leur nouvel idéal, et la société contemporaine, corrompue, n'intervient pas, préfère ne rien savoir et faire semblant de ne rien voir. Ce qui était déjà le cas au temps du communisme, n'est-ce pas ? Donc rien n'a changé, simplement les privilégiés et les idéaux ont évolué, tout comme après toute révolution...
Le bibliothécaire aurait pu être encore un coup de cœur de cette rentrée littéraire mais les nombreux combats entre cohortes m'ont un peu lassée. Toutefois malgré ce petit point faible, c'est un très bon roman, à la limite du fantastique, mais je me doute qu'il ne plaira pas à tous les lecteurs.
Je place ce roman dans le challenge Une année en Russie (qui malheureusement se termine bientôt).
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