Le faux ami est un roman de Henrik B. Nilsson à paraître le 8 septembre 2010 (je l'ai reçu et lu en août) aux éditions Bernard Grasset dans la collection Littérature étrangère (567 pages, 22,50 €, ISBN 978-2-246763611).
Den falske vännen (2009) est traduit du suédois par Philippe Bouquet.
Henrik B. Nilsson est né en 1971 en Suède mais a grandi en Allemagne. Après une licence d'économie, il a créé en 1999 Minotaur, une maison d'édition qu'il a vendue puis il a repris des études à l'université de Lund et a obtenu un Master d'Art (Creative writing). Il vit maintenant à Malmö avec sa famille. Le faux ami est son premier roman et il a reçu un Grand Prix littéraire suédois du premier roman : Borås Tidnings Debutantpris.
(Source : Nordin Agency)
Plus d'infos sur le site officiel de Henrik B. Nilsson (enfin pour ceux qui comprennent le suédois !).
1903. Le Vatican prépare la succession de Léon XIII gravement malade. Ça conspire à tout va à Rome, certains ne voulant pas du cardinal Rampolla trop proche des Russes et des Français.
1910. Des tremblements de terre, la comète de Halley, la décadence dans les Arts, une langue artificielle créée de toute pièce comme l'espéranto, de plus en plus de jeunes qui se suicident, des cancers, la tuberculose, des rumeurs malveillantes, nombreux sont ceux qui crie à la fin du monde.
À Vienne, Hermann Freytag qui, après des études de philologie, est devenu correcteur aux éditions Fischer & Wulff, profite maintenant de sa retraite : il lit le journal et déguste des Mohnstrudel au café Sperl en lisant le Reichpost, il joue aux échecs avec son ami Georg et il s'est inscrit au cours d'espéranto de la jolie Rosita Nagy, une immigrée hongroise. « Freytag n'avait jamais vu une telle beauté et ne s'arrachait à la contemplation du léger duvet ornant sa lèvre supérieure que pour se perdre dans celle de ses yeux couleur châtaigne; à l'automne. » (page 50).
Passionné par Goethe, Freytag veut surtout écrire enfin ses propres livres. Mais l'inspiration ne vient pas, son épouse Adèle l'a quitté pour un directeur de chemins de fer qui l'a emmenée faire le tour de l'Europe, et Herr Schlink, le directeur littéraire, le rappelle de façon insistante car Boris Barsch, l'écrivain dont il a corrigé tous les livres, n'a confiance qu'en lui et le réclame pour les corrections de son nouveau livre. « Les personnages de ses romans étaient vivants, ils sortaient de la page imprimée pour pénétrer dans le cœur du lecteur, où ils devenaient plus réels que les êtres qui, en chair et en os, l'entouraient, si vrais qu'ils s'incrustaient dans la mémoire telles de vieilles connaissances. » (page 74).
Le faux ami est un mot « très semblable dans une autre langue mais qui signifie tout autre chose que ce que l'on croit ». C'est aussi un ami qui trahit la confiance que l'autre ami porte en lui. C'est encore le titre du nouveau roman de Boris Barsch.
Freytag broie du noir, il s'inquiète de sa solitude, d'une éventuelle fin du monde, du progrès, de la jeunesse décadente, de la folie, du nihilisme, bref de tout ce qu'il ne connaît pas ou très peu et qui lui fait peur. « Nous vivons sur un rythme trop rapide, pensait Freytag. Le téléphone, l'automobile et ces étranges nefs aériennes : Dieu seul savait quels autres appareils démentiels on irait inventer ensuite. » (pages 25-26).
C'est au cours d'espéranto que Freytag rencontre Rainer Signori, « un monsieur distingué » qui dit être dans les affaires. Herr Signori est en fait très proche du Vatican et « Si chacun pouvait n'en faire qu'à sa tête, que deviendrait la monarchie, alors ? Et l'Église ? Et la morale ? » (page 121). Signori va embarquer Freytag dans une histoire qui le dépasse. Freytag va accepter de corriger le livre de Barsch, il va même rejoindre l'auteur à St Wolfgang, un village de montagne. Mais pourquoi Le faux ami embarrasse-t-il tant le Vatican ? « Il avait du mal à saisir pourquoi un homme aussi important s'intéressait à un manuscrit inachevé, même s'il avait été rédigé par un écrivain d'une célébrité hors-normes que nombre de gens étaient impatients de lire, […]. » (page 181).
Deux petites choses que je note ;-)
Il y a trois semaines, je cherchais ce que signifiait l'expression « arbitre des élégances » que j'entendais pour la première fois (merci F. !, je suis moins bête grâce à toi !), eh bien j'ai retrouvé cette expression page 461 : un bon moyen pour m'en souvenir !
Le clin d'œil de l'auteur au lecteur avec le dialogue entre Freytag et Mademoiselle Beate dans le salon de Tante Olga (page 433-434).
Le roman de Nilsson n'est pas un roman historique mais la Vienne du début du XXe siècle est tellement bien retranscrite ! Elle était à cette époque la capitale culturelle et intellectuelle de l'Europe. Un gros clin d'œil aux freluquets des Beaux-Arts page 53 et on sait quel freluquet a raté deux fois (en 1907 et 1908) l'examen d'entrée de cette école !
Le roman de Nilsson n'est pas non plus un thriller ésotérique mais il y a du suspense et l'église catholique n'est pas toujours montrée sous son meilleur jour.
Surtout Le faux ami est un grand roman littéraire et j'ai pris un immense plaisir à le lire : j'aime ce genre de romans contemporains dont on a l'impression qu'ils sont des classiques. En plus, c'est un premier roman : un exploit littéraire !
Un gros coup de cœur donc que ce Faux ami qui est peut-être un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. Je commence fort d'ailleurs et j'espère ne pas être déçue avec les prochains que je lirai !
Je remercie la UlikeTeam de m'avoir envoyé ce roman car j'ai chroniqué Le faux ami dans le cadre d'un partenariat avec le site Chroniques de la rentrée littéraire et de l'organisation du Grand prix littéraire du Web Cultura.
Mes passages préférés
Sur la lecture : « Voici mon conseil : lisez, lisez tous les grands noms. Il ne s'agit pas de vous distraire, comme un lecteur banal. Non, lisez en écrivain, chère amie, avec attention et concentration. Relisez jusqu'à ce que ces phrases vous fassent l'effet d'être vôtres, lisez tout ce que vous trouvez d'un auteur que vous aimez et admirez, […]. » (page 135).
Sur l'édition : « Depuis quand est-ce les considérations économiques qui font la loi, chez les éditeurs ? La valeur littéraire ne se mesure pas en argent, Herr Schlink, vous devriez le savoir, […]. » (page 239).
En librairie : « Les couvertures renfermaient le monde entier, qui n'attendaient que d'être découvert, dévoré. » (page 393) et « Il y a tant de choses... […] On aime bien éviter de se tromper. La vie est trop courte pour lire de mauvais livres. » (page 395).
Sur les lecteurs : « […] et, quand on a une bibliothèque bien pourvue, on n'est jamais pauvre. » (page 285).
Pour fulminer : « la littérature attirait surtout les femmes que la beauté avait épargnées. » (page 332).
Et pour le plaisir !
« Il a besoin de calme et de tranquillité. C'est bon pour lui de se reposer sur une routine, car il est très sensible et son travail est très exigeant.
– Vous aimez beaucoup ses livres ?
– Comment le savoir ? Vous croyez que j'ai le temps de lire ? » (pages 304-305).
Chronique de lecture parue le 2 septembre sur Chroniques de la rentrée littéraire.
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