Le poisson mouillé est un roman policier de Volker
Kutscher paru au Seuil Policiers le 1er avril 2010 (566 pages, 21,50 €, ISBN 978-2-02-096259-9). Der nasse
Fisch (2007-2008) est traduit de l'allemand par Magali Girault.
Lorsque Suzanne de Chez les Filles m'a proposé ce roman, j'ai un peu hésité parce que c'est un pavé et que j'avais déjà plusieurs livres en retard... Mais lorsque j'ai vu le contexte historique, le Berlin de la fin des années 20, j'ai tout de suite craqué pour en savoir plus sur cette période moins connue de l'entre-deux-guerres. Bien m'en a pris et je remercie beaucoup Chez les Filles et les éditions du Seuil de m'avoir fait découvrir cet auteur prometteur !
Volker Kutscher est né en 1962 à Lindlar (au nord-est de Cologne). Il a étudié la langue allemande, l'histoire et la philosophie. Il vit à Cologne. Il est historien (on s'en rend compte, il connaît très bien cette époque !) mais aussi journaliste et écrivain.
Gereon Rath
Le personnage principal du roman, le commissaire Gereon Rath, quitte la Criminelle de Cologne après un événement grave (on en apprend plus au fur et à mesure sur lui, sa famille, son passé) et arrive à Berlin (où il ne connaît personne) pour intégrer la police des Mœurs. Il va apprendre à connaître – en même temps que le lecteur – ses collègues et une ville en pleine évolution.
À noter qu'il est passionné de jazz, qu'il découvre grâce aux disques que son frère aîné (un traître qui a fuit l'Allemagne aux yeux de leur père) lui envoie d'Amérique.
Je crois que l'auteur a choisi le prénom de Gereon parce que c'est le saint de Köln (Cologne) : il a été un soldat et un martyr au IVe siècle, et une basilique érigée au tout début du XIe siècle porte son nom (elle est une des douze basiliques romanes de Cologne).
Berlin
En ce printemps 1929, Berlin est un autre personnage du roman. La guerre est terminée depuis 11 ans (enfin, pas pour tout le monde mais vous le saurez mieux en lisant ce roman) et la ville est en expansion (avenues, métro, magasins, cafés, salles de spectacle). Par ailleurs, dans les ruelles mal famées, il existe toute une faune de la nuit et des maisons interlopes où fait fureur tout ce qui est clandestin (jeux, drogue, pornographie). Par contre, il y a encore peu de téléphones chez les particuliers et peu de voitures dans les rues.
Certains militaires et nationalistes n'ont pas accepté la défaite de 1918, l'obligation d'avoir une armée de 100 000 hommes maximum, et que le nouveau gouvernement (la République de Weimar, 1919-1933) soit socialiste et démocrate. On entend déjà parler d'un certain Adolf Hitler et d'antisémitisme... Mais ce sont plutôt les réfugiés Russes qui posent problème ici puisque la population et la police pensent que ce sont tous des Rouges envoyés par Staline pour que l'Allemagne devienne communiste, et peu importe si beaucoup étaient des aristocrates qui ont du fuir justement l'Union soviétique. L'exode des Russes Blancs et la diaspora russe font partie de l'histoire de la Russie et ce roman peut tout à fait entrer dans le challenge Une année en Russie.
Poisson mouillé
Je me suis tout de suite demandé ce qu'était un poisson mouillé ! Rien de top-secret ! Un poisson mouillé est une affaire non-élucidée que la police doit classer. Cette expression est née dans la bouche d'Ernst Gennat, qui a réellement existé (1880-1939) et qui fut directeur de la police criminelle de Berlin (note page 196).
Quelques phrases en plus pour résumer l'histoire
Au Château-Fort, la première enquête de Rath, sous les ordres du commissaire principal Bruno Wolter (surnommé Tonton), est une affaire de photos pornographiques. En parallèle, la Criminelle enquête sur un cadavre mutilé dans une voiture repêchée dans le Landwehrkanal mais, comme personne n'a découvert l'identité du mort, l'inspecteur Böhm pense classer cette affaire comme poisson mouillé. Jusqu'au jour où le cadavre d'une jeune recrue, Stephan Jänicke, est retrouvé dans une cabane de chantier de l'Alexanderplatz...
De son côté, Rath loue une chambre meublée chez Elisabeth Behnke, une veuve dont l'époux était un compagnon de guerre de Wolter. Son voisin, Berthold Weinert, est un journaliste, fouineur mais utile.
Une nuit, un Russe ivre qui dit s'appeler Boris débarque et exige de parler à Alexeï Ivanovitch Kardakov (en fait l'ancien locataire de la chambre). Plus tard, à la morgue, Rath reconnaît l'homme sorti de l'eau : c'est Boris. Mais que sait-il de plus en fait ? Donc le jeune commissaire ne dit rien et veut résoudre cette affaire seul pour intégrer la Criminelle, où travaille Charlotte Ritter (surnommée Charly), la très jolie sténodactylo dont il est tombé amoureux.
Et puis il y a des truands et des mafieux, des Russes et un Chinois, une comtesse-chanteuse et de l'or qui attise les convoitises, des militants communistes qui manifestent sans autorisation, des balles perdues, de bons cafés et des petits gâteaux, des rendez-vous galants, et bien sûr du suspense et des rebondissements.
Mon avis
Je n'ai pas pu lire ce roman comme je le souhaitais car j'ai été malade la semaine dernière et j'ai dû abandonner ma lecture pendant quelques jours. Mais quel bonheur de le reprendre ce weekend et de replonger si facilement dans les bas-fonds de Berlin ! J'ai vraiment beaucoup aimé ce gros roman (je lui mets un coup de cœur) et j'ai envie de devenir plus intime avec le commissaire Gereon Rath, un homme attachant, moderne et efficace. Mais à quoi pensez-vous donc ? Je veux simplement dire : lire le tome suivant, Der stumme Tod, déjà paru en Allemagne en 2009. Oh, vivement sa parution en France !
Il manque juste une chose à ce roman : un plan de Berlin en 1929 pour se repérer dans le dédale de rues et de quartiers.
Des extraits
Les Russes : « Il était pourtant persuadé qu'un homme comme Alexeï Kardakov venait dans ce quartier quand il se sentait nostalgique, qu'il avait envie de mélancolie, d'alcool et de voir des compatriotes. C'était toujours à Charlottenburg que les Russes de Berlin se rencontraient. Ils s'étaient construit leur propre univers avec leurs librairies, leur coiffeurs et leurs cafés, un univers où il n'était pas nécessaire de parler allemand. Les Berlinois appelaient cette société parallèle 'Charlottengrad' » (page 99).
La police : « Tu savais que nous possédons plus de machines à écrire que d'armes ? » (page 104).
Les nationalistes : « Il y avait tellement de jeunes gens prêts à se battre. Nous aurions pu gagner la guerre ! Si seulement les criminels de novembre ne nous avaient pas trahis ! » (page 176).
Le journaliste : « Un bobard dont tout le monde parle n'est pas vraiment un bobard. » (page 464).
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