Les belles choses que porte le ciel est un roman de Dinaw Mengestu paru aux éditions Albin Michel dans la collection Littérature étrangère en août 2007 (320 pages, 21,50 €, ISBN 978-2-226-17976-0). The beautiful things that heaven bears (2007) est traduit de l'américain par Anne Wicke.
Je l'ai reçu en poche (Livre de poche, octobre 2009, 283 pages, 6,50 €, ISBN 978-2-253-12581-5) et je remercie Suzanne et Chez les Filles pour cette très belle lecture.
Dinaw Mengestu est né en 1978 à Addis-Abeba (Éthiopie). Contrairement au héros de son roman qui se retrouve pratiquement seul à Washington, Dinaw Mengestu est venu aux États-Unis avec sa famille en 1980 (Chicago, Illinois). Diplômé des universités de Georgetown (anglais) et Columbia (littérature), il enseigne la littérature anglaise et écrit (ce roman, articles).
Les belles choses que porte le ciel a reçu le Prix du premier roman étranger 2007 et le Grand Prix des lectrices Elle 2008.
Sépha Stéphanos vient d'Éthiopie où sa mère et son frère vivent toujours. Il a dix-neuf ans lorsqu'il arrive aux États-Unis pour vivre chez un oncle, Berhane Sélassié, qui a vingt ans de plus que lui. C'était il y a dix-sept ans et, au lieu de continuer ses études, il a travaillé comme bagagiste au Capitol Hotel à Washington. Depuis 10 ans, il gère une petite épicerie à Logan Circle, « un quartier pauvre, noir, bon marché » (page 49), mais elle ne fonctionne plus très bien malgré ses efforts : « Mon épicerie n'a rien de spécial. Elle est étroite, miteuse […]. » (page 10), « cet horrible carrelage vert et le méchant éclairage fluorescent » (page 38).
Il a gardé ses deux amis, qui étaient bagagistes en même temps que lui : Kenneth et Joseph.
Kenneth, c'est Ken le Kenyan, « il a la peau sombre, le nez long et mince, [...] ses traits sont doux, presque délicats, […] un mètre quatre-vingts, […] soixante-cinq kilos. » Il est ingénieur. Il aime dire « Que Dieu bénisse l'Amérique ! Il n'y a qu'ici qu'on peut devenir gras comme un bouddha. » (page 9).
Joseph Kahangi, c'est Joe du Congo (République démocratique du Congo, anciennement le Zaïre), il est « petit et trapu comme une souche d'arbre. Il a un gros visage rond qui ressemble à un sablé au chocolat. » (page 13). Depuis huit ans, il est serveur dans un restaurant, le Colonial Grill, et il siffle tous les fonds de verre avant de les ramener en cuisine !
Se retrouvant régulièrement tous les trois au magasin, ils boivent un coup devant une vieille carte de l'Afrique, s'amusent à un jeu, l'un cite un dictateur et les deux autres doivent deviner le pays et l'année : « Lorsqu'il n'y aura plus de coups d'État, on pourra cesser notre jeu. » (page 16), jouent aux cartes ou aux échecs ou alors philosophent.
Un jour, Judith, une femme blanche, achète la maison à côté de celle de Stéphanos : « un bel édifice », « grosse demeure de brique hautes de quatre étages » (page 24) mais abandonnée depuis plus de dix ans, y fait faire des travaux et y emménage avec sa fille de 11 ans, Naomi « avec sa peau plus claire qu'une peau noire mais plus foncée qu'une peau blanche. » (page 31). Elles deviennent clientes de l'épicerie, invitent parfois Stéphanos. Puis d'autres nouvelles personnes viennent s'installer dans le quartier qui devient plus côté et les pauvres commencent à se faire expulser...
Je connais peu la littérature éthiopienne (écrite au pays ou par la diaspora, je n'ai déjà lu que Les amants de la mer Rouge, de Sulaiman Addonia qui vit en Angleterre) mais quelle charmante lecture ! L'écriture est d'une grande finesse, le style est fluide, l'histoire est bouleversante. J'aime particulièrement lorsque Stéphanos lit Les frères Karamazov (de Dostoïevski) à Naomi pendant les vacances scolaires. En ce qui concerne le titre, Les belles choses que porte le ciel, il est inspiré de La divine comédie (de Dante) que Joseph affectionne. Je pourrais juste conclure ma note de lecture en disant Les belles choses que porte ce livre...
Quelques extraits
« Depuis le premier jour où j'ai ouvert l'épicerie, j'ai toujours eu un livre à portée de main, si bien que chaque heure, même lors des journées les plus calmes, a toujours été remplie d'au moins une autre voix que la mienne. […] Au fil des ans, j'ai lu environ un livre tous les deux jours […]. » (page 54).
« À la bibliothèque, je me mis à prendre les livres par quatre afin d'être sûr d'avoir largement de quoi lire pour la semaine. […] tout ce que j'attendais de la vie maintenant, c'était de pouvoir lire tranquillement, seul le plus longtemps possible dans la journée. » (page 55).
« Les trains de cette ville ne cessent de m'étonner, même après tout ce temps passé ici. Il ne s'agit pas seulement de leur taille, mais de leur ordre, de l'impression que vous avez quand vous montez dedans, l'impression qu'une puissance supérieure régulatrice contrôle fermement l'ensemble. » (page 125).
« Le premier but du réfugié est de survivre et, une fois que c'est fait, ce but initial est vite remplacé par les ambitions générales de la vie. » (page 126).
« Un professeur d'histoire de mon collège universitaire de Virginie avait dit un jour qu'il n'y avait eu que trois vraies révolutions durant ces deux derniers siècles, la française, la chinoise et la russe. Tout le reste n'était que rébellions, insurrections, soulèvements, protestations ou grèves. » (page 129).
Parfois les personnages ne sont pas tendres entre eux ou envers leur pays :
Kenneth à Joseph : « Si ça te manque tellement, lui hurla-t-il un jour, pourquoi tu n'y retournes pas ? Comme ça t'auras plus besoin de dire sans arrêt 'C'est comme l'Afrique' et 'On dirait l'Afrique'. Mais tu veux pas y retourner. Tu préfères que ça te manque confortablement ici plutôt que la détester chaque jour sur place. » (page 128).
Stéphanos : « Le temps, la distance et la nostalgie ont convaincu ces femmes que là-bas, en Éthiopie, nous étions tous moraux et parfaits [...]. Avec nos petits boulots et nos minuscules appartements, il est impossible de ne pas regarder de temps en temps en arrière et de prétendre qu'il y eut jadis un monde meilleur, où les maris étaient fidèles, les enfants obéissants, la vie facile et merveilleuse. »
Kenneth à propos de son père : « Exactement. C'est tout. C'est tout ce qu'il a jamais été. Un pauvre homme illettré qui vivait dans un taudis. Et tu sais ce que ça fait de lui, en Afrique ? Rien du tout. Et c'est ça, l'Afrique en ce moment. Un continent plein d'illettrés qui meurent dans des taudis. Alors c'est quoi, ce qui devrait me manquer ? […] Depuis ma naissance, il n'y a eu que deux leaders, au Kenya. Le premier fut terrible et maintenant le deuxième, il est encore pire. Et c'est pour ça que je suis ici, dans ce pays. Pas de révolution. Pas de coup d'État. » (pages 231-232).
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