Les leçons du Mal est un roman de Thomas H. Cook à paraître aux éditions du Seuil dans la collection Policiers le 10 mars 2011 (357 pages, 21,50 €, ISBN 978-2-02-099897-0). Master of the Delta (2008) est traduit de l'américain par
Philippe Loubat-Delranc.
Thomas H. Cook est né le 19 septembre 1947 à Fort Payne (Alabama). Il a étudié l'histoire des États-Unis (Hunter College, NY) et la philosophie (Columbia University, NY) puis a enseigné l'anglais et l'histoire. Son premier roman, Blood innocents, est paru en 1980 et il s'est consacré à l'écriture en 1982, année durant laquelle est paru son deuxième roman, The Orchids. Depuis, plus de vingt romans sont parus et je suis étonnée de ne jamais avoir lu cet auteur !
Gallimard : Safari dans la 5e Avenue (1981), Du sang sur l'autel (1985), Qu'est-ce que tu t'imagines (1989), Haute couture et basses besognes (1989), Les rues de feu (1992, réédition Folio 2008), La preuve de sang (2006), Les ombres du passé (2007, réédition Folio 2009), Les feuilles mortes (2008, réédition Folio 2010), Le nuage de l'ignorance (2009).
L'Archipel : Les ombres de la nuit (2002, réédition Le livre de poche 2005), L'interrogatoire (2003, réédition Livre de poche 2006), Disparition (2003).
J'ai Lu : Les instruments de la nuit (2000).
Jack Branch, le narrateur, écrit cette histoire « dans ses vieux jours ». En avril 1954, il était un jeune professeur de 24 ans qui enseignait (histoire, philosophie, littérature) depuis trois ans au lycée de Lakeland (Mississipi) où son père, Jefferson Branch, avait enseigné avant lui. Il s'était lancé dans une thématique sur le Mal qui intéressait plus ou moins les adolescents. Il faut dire qu'on est dans le Sud profond (le Ku Klux Klan – KKK – existait encore), qu'il était issu du quartier aisé (Blancs) et que tous ces jeunes étaient eux issus du quartier des Ponts, c'est-à-dire d'un milieu très défavorisé. « […] j'en revins au débat de fond du cours : les raisons pour lesquelles des êtres humains en arrivent à torturer leurs semblables […]. » (page 48). Mais une des élèves, Sheila Longstreet a disparu et Jack Branch pense l'avoir aperçue dans la camionnette d'Eddie Miller, un autre de ses élèves. Pensant bien faire, il en réfère au shérif Harry Drummond qui va mener son enquête. Mais l'homme de loi est persuadé de la culpabilité d'Eddie car il est « le fils du Tueur de l'étudiante », Linda. « Comme si son opinion était déjà faite. » (page 69). |
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Eddie a très peu connu son père, Luther Ray Miller, qui a été assassiné dans sa cellule par un codétenu... [note de moi : se peut-il qu'il fut innocent ?]. Mais le lien du sang, le fait qu'Eddie soit issu d'un milieu déshérité et qu'il ait récupéré la camionnette marron ayant appartenu à son père jouent inévitablement contre l'adolescent désabusé. « J'imagine qu'il pense qu'on est de la même espèce, mon père et moi. » (page 73).
Pourtant Jack Branch prend Eddie sous son aile et le motive dans la rédaction de son devoir sur le Mal pensant que cela le libérera du poids du passé. « […] la vision d'Eddie accusé à tort continuait de me perturber. » (page 81). Mais est-ce une si bonne idée qu'Eddie rédige un devoir sur son père et se mette à interroger tous ceux qui l'ont connu ?
Il y a une sacrée ambiance dans ce roman (la
traduction est sûrement excellente), sombre, et beaucoup de mystère. Bien que le professeur enseigne la notion du Mal (d'où le titre français) à ses élèves en donnant de nombreux exemples
passionnants à travers des faits réels (histoire) ou des faits imaginés (littérature), il tombe stupidement dans le piège de « montrer du doigt », d'accuser en agissant de façon
irréfléchie et s'en mord les doigts mais c'est trop tard : le mal est fait ! Il est – comme l'est un accusé innocent – incapable de
faire machine arrière et impuissant face au drame ! Pourtant « être suspect, ça ne veut pas dire être coupable. » (page 114). Eh
bien, pour certaines personnes, malheureusement si !
Linda, quant à elle, était jeune, belle, et avait la possibilité d'étudier donc de sortir de sa pauvreté (du quartier des Ponts) alors qu'est-ce qui lui a pris de s'acoquiner avec un homme plus âgé qu'elle, marié, père et de surcroît pauvre ? La stupidité sans doute...
Le récit est incroyablement bien construit : entre le passé (le père d'Eddie) et le présent (1954) qui est en fait le passé au moment où le professeur écrit cette histoire, entre les extraits du procès (mais quel procès ? Qui est accusé ?), entre Jack et sa jolie collègue issue des Ponts (Nora) et son frère handicapé (Morrell), entre Jack et son père veuf qui occupe sa retraite en écrivant une biographie d'Abraham Lincoln et qui est devenu alcoolique depuis un « incident ». Sont ainsi traités le passé et le présent, la filiation et les liens du sang (le Mal se transmet-t-il ?), la culpabilité (est-on conscient du Mal que l'on fait ? Peut-on réparer le Mal que l'on a fait ?), la Loi, les relations humaines. Il y a également de nombreuses références historiques et littéraires : un pur bonheur. Je dirais que cette histoire est une tragédie moderne, mais une tragédie qui s'est déjà déroulée maintes fois par le passé et qui se déroulera sûrement encore de nombreuses fois dans le futur, la bêtise et l'âme humaines étant ce qu'elles sont... Plus qu'un roman policier, donc, j'ai pensé de ce roman noir qu'il était un récit psychologique et philosophique : intense et parfait !
Je ne connaissais pas du tout cet auteur (au début, n'ayant pas fait attention au prénom, j'ai même cru que j'allais recevoir un roman de Robin Cook !) et je suis ravie que ce premier roman reçu dans le cadre du Jury Babelio – Seuil Policiers m'ait autant plu (merci à Babelio et aux éditions du Seuil). Les suivants vont devoir assurer !!!
PS : Eddie lit 1984, de George Orwell.
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