Les souvenirs est un roman de David Foenkinos paru aux éditions Gallimard NRF dans la collection Blanche en septembre 2011 (266 pages, 18,50 €, ISBN 978-2-07-013459-5).
Je remercie Rémi et Price Minister de m'avoir envoyé ce roman dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire, et Lystig qui m'a parrainée.
Je ne présente pas David Foenkinos car je l'ai déjà fait lorsque j'ai lu Lennon (excellente biographie) en 2010.
Enterrement du grand-père du narrateur. Sous la pluie. Que dire ? « Parfois il n'y a simplement rien à dire » (page 13).
Souvenirs. Le grand-père. La grand-mère qui se retrouve seule. Plus de 80 ans. Une soixantaine d'années de vie commune. Une vie. Toute une vie. Solitude. Et puis, une chute. Pas grand chose mais... Risque. Les trois fils – dont le plus jeune est le père du narrateur – décident de mettre leur vieille mère dans une maison de retraite. Non ! Sa vie, son appartement, ses objets, son univers ! Non ! Si... « Est-ce cela la ligne de démarcation de la véritable vieillesse ? Quand on devient un problème ? » (page 30).
Le narrateur, jeune homme attentionné qui travaille de nuit dans un hôtel (ce qui lui permet d'écrire), rend visite à sa grand-mère en fin d'après-midi, s'amuse du tableau hideux représentant une vache, lui fait une surprise pour son anniversaire. « Je ne sais pas comment font les personnes âgées pour traverser les heures creuses. » (page 24).
Puis les visites s'espacent, plus le temps, plus envie, jusqu'à l'événement incongru : la grand-mère a disparu, elle a fugué ! Comme une adolescente ! Au même moment, les parents du narrateur font face à la retraite : lui était directeur de banque, elle professeur d'histoire en collège. Le vide de leur existence, le vide de leur couple, la dépression latente de la mère. C'est le jeune homme qui partira sur les traces de la grand-mère, son patron lui ayant accordé un congé exceptionnel : « il serait le premier à me parler comme si j'étais un écrivain. » (page 41). Le patron, Gérard, tiendra une place importante dans la vie du narrateur, un homme blessé par son divorce puis le départ de son ex-femme et de leurs deux enfants en Australie. Mais, pour l'instant, le jeune homme, libéré de ses activités de surveillance nocturne, se rend dans un petit village de Normandie où la grand-mère a grandi fin des années 20, début des années 30. Car son plus grand regret est d'avoir dû arrêter l'école : à cause de la crise de 1929 aux États-Unis qui s'est répercutée en Europe au début des années 30, son père avait dû vendre le magasin et était devenu quincaillier ambulant.
Dans ce village, le narrateur va rencontrer l'amour en la personne de Louise, une jeune institutrice. Et assister, impuissant, à la fin de sa grand-mère : « Il s'agissait des derniers jours de la vie d'une femme. » (page 140).
À la lecture des premières pages – le 1er novembre (eh oui) – je me suis demandée si je pourrais continuer ce livre. Pluie et enterrement créent une intensité dramatique... Je ne suis pas atteinte de sensiblerie mais les mots, les souvenirs étaient si beaux, si présents, que la tristesse s'emparait de moi et que j'ai éclusé quelques mouchoirs... Et puis l'humour pointe son nez, les souvenirs ne sont pas tristes. Il y a une gaieté et une empreinte nostalgique – que j'avais déjà ressenties avec Le club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia – finalement apaisantes et vivifiantes.
Je veux vous donner des exemples.
Il y a plusieurs phrases de David Foenkinos sur l'écriture, sur le travail de l'écrivain, que j'aime beaucoup. En voici quelques-unes. « J'y pensais tellement que c'est devenu impossible. » (page 42). « Il ne fallait pas forcément courir après des idées, s'acharner sur des brouillons, c'était au roman de faire le premier pas. Il fallait simplement être dans de bonnes conditions pour le recevoir quand il frapperait à la porte de l'imagination. Les mots avançaient vers moi avec la grâce de leur invisibilité. » (page 85).
Il y a aussi de magnifiques phrases sur la vieillesse. « […] la constatation de la douleur. On constate, on constate, on espère avec conviction que ça va passer, mais on fond on se dit que c'est atroce d'avoir toujours mal quelque part. On se dit aussi que c'est ce qui nous attend, cette agonie, cette souffrance de chaque geste. » (page 45). « La plupart de ceux que j'ai croisés dans la maison de retraite voulaient mourir. Ils ne disent pas mourir d'ailleurs, ils disent « partir ». Et aussi : « en finir », pour souligner davantage le calvaire. Car la vie ne finit parfois jamais, c'est le sentiment qu'ils ont. On parle souvent de la peur de la mort, et c'est étrange comme j'ai vu autre chose. Je n'ai vu que l'attente de la mort. J'ai vu la peur qu'elle ne vienne pas. » (page 57).
Et il y a mes deux passages préférés ! Le premier est une réflexion sur les contacts avec les enfants, le deuxième sur les disputes dans un couple.
« Jusqu'à présent, je n'avais pas eu beaucoup de rapport avec des enfants. Finalement le dernier enfant que j'avais côtoyé, ça devait être moi. » (page 169).
« […] mon père m'appelait parfois pour me dire : « Je crois que ta mère ne tourne pas rond. » De son côté, elle me disait : « Ton père me fait une tête au carré. Il ne sort presque pas de la maison, et ressasse tout le temps la même chose. » Oui, c'est vraiment ce qu'ils me disaient. Leurs disputes étaient géométriques. » (page219).
J'adore !!!
L'écriture de David Foenkinos est belle, tout simplement, mais vraiment très belle, sensible, douce. Il a de ces fulgurances sur la vie, alors que le narrateur se dit inexpérimenté et se pose de nombreuses questions auxquelles il n'a évidemment pas de réponses. Mais il se souvient, de plein d'épisodes, tiens comme lorsqu'il était enfant et qu'il avait couru au théâtre de Guignol avec son grand-père car ils étaient en retard (vous verrez, la boucle, c'est magnifique) ; il observe, et en fait il raconte la vie, l'amour, la vieillesse, la mort, avec une délicatesse et une tendresse admirables. Je crois que le lecteur se demande toujours quelle est la part de fiction et la part d'autobiographie.
David Foenkinos est pour moi un des meilleurs écrivains de ce début de XXIe siècle et je veux lire absolument ses autres romans !
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