Tatsumi est un film d'animation de 96 minutes réalisé par Eric Khoo en 2011 et sorti dans les salles en septembre 2011 (Singapour) et février 2012 (France).
Vous pouvez cliquer sur l'affiche ci-contre et sur les illustrations ci-dessous.
Eric Khoo est né le 27 mars 1965 à Singapour et a étudié le cinéma à Sydney (Australie). Il est réalisateur, scénariste et producteur depuis son retour à Singapour, en 1990, mais il me semble que je n'avais encore jamais vu de films de lui : lacune réparée !
9 février 1995, c'est le 7e anniversaire de la mort d'Osamu Tezuka, le père du manga. Yoshihiro Tatsumi qui l'a connu lorsqu'il avait 15 ans et le Maître 22 ans (c'était l'ère Shôwa) est trop ému et quitte la cérémonie. Mais c'est l'occasion pour lui de se remémorer ses années de jeunesse, sa vie et ses mangas.
Ainsi le film raconte la vie du mangaka Yoshihiro Tatsumi, créateur du gekiga, en même temps que l'histoire du Japon au XXe siècle et les œuvres de l'auteur.
Yoshihiro Tatsumi ヨシヒロ 辰巳 est né à Ôsaka le 10 juin 1935 ; il se souvient qu'à la fin de la guerre, il avait 10 ans.
Histoire en noir et blanc : Enfer
Août 1945, Koyanagi, un photographe prend des photos des ruines et des survivants de Hiroshima. Il voit l'horreur.
Plus tard, en 1971, période de révolte des étudiants, l'homme fait encore des cauchemars et, au chômage, il peine à faire vivre sa femme et son fils. Il décide de vendre une photo prise en 1945 qu'il n'avait jamais montrée à personne. On y voit les ombres de deux corps imprimées sur le mur de leur maison pendant l'explosion : un fils dévoué massant les épaules de sa mère. Koyanagi devient célèbre, est promu ambassadeur de l'organisation No more Hiroshima et une statue est faite par un grand artiste.
Mais le mythe n'est pas aussi beau qu'il n'y paraît...
« J'ai vu l'enfer, enfermé dans mon propre cœur ».
Retour à l'auteur (et à la couleur).
Yoshihiro Tatsumi commence à dessiner des mangas à l'âge de 12 ans.
Il n'a pas une vie facile et on a l'impression que rien ne lui est épargné : guerre, privations, père très absent, famille de quatre enfants pas riche. Son frère aîné est malade des poumons mais il n'y a pas assez d'argent pour hôpital alors il reste à la maison et s'aigrit. Parfois le frère bat Tatsumi qui doit marcher 40 minutes chaque jour pour aller au collège. Il dessine toutes les nuits et envoie ces mangas un peu partout. Heureusement de nouveaux magazines voient le jour et son premier manga est publié !
En 1950, c'est la guerre de Corée, et un journaliste du journal Mainichi lui rend visite pour l'interviewer car il rédige un article sur les jeunes génies du manga. Il lui donne l'occasion de rencontrer Osamu Tezuka, son idole, dans sa maison d'Ôsaka : « Je réalisai que je n'avais jusqu'ici dessiné que dans le but de rencontrer le Maître Tezuka ».
Histoire en noir et blanc : Cher Monkey
Un pauvre ouvrier, forçat de l'usine, vit seul avec un petit singe.
Un matin, il est expulsé du train qui l'emmène au travail par la foule qui descend. Il se rend alors au parc de Ueno qu'il n'a pas vu depuis des années. « Il y a cinq ans, j'étais arrivé à Ueno la poitrine gonflée d'espoir ».
Devant l'enclos aux singes troublés par sa présence, il rencontre une jeune femme, Reiko.
Il retrouve enfin le sourire et décide de demander sa démission mais son bras gauche est arraché par une machine. L'entreprise lui donne 300 000 yens d'indemnités et sa démission est acceptée.
La fin est horrible...
Nouveau retour à l'auteur (et à la couleur).
En 1951, Yoshihiro Tatsumi fait vivre la famille avec l'argent que les mangas lui rapportent : il reçoit un billet de 500 yens qui vient juste d'être émis. Mais il découvre avec horreur que son frère malade, jaloux, a déchiré ses planches !
En 1954, son premier album, L'île aux enfants, paraît.
À l'été 1956, il prend son indépendance et emménage dans un petit appartement avec trois illustrateurs des éditions Hinomaru : ils vont travailler sur la revue Ombres.
Il y a encore trois histoires de Yoshihiro Tatsumi (Juste un homme, Occupé, Goodbye) sur les thèmes de la vieillesse et de la retraite, la sexualité, la prostitution, la dure réalité de la vie, je ne vous les raconte pas, je vous laisse les découvrir.
Mais l'auteur est confronté à un problème : les mangas racontant des histoires pour adultes sont sur les mêmes étagères que les mangas pour enfants et les parents sont mécontents. Yoshihiro invente alors le terme de Gekiga et quitte Ôsaka pour Tokyo. « Nous, soussignés, avons décidé de créer l'Atelier Gekiga. Nous visons un nouveau genre de manga destiné à des lecteurs adultes, caractérisé par un dessin réaliste et des descriptions psychologiques nuancées. » (extrait du Manifeste de l'Atelier Gekiga).
À travers ce film excellent (la narration et l'esthétique sont superbes), on découvre un auteur talentueux, lucide, émouvant, inventif et transporté par son imagination et sa volonté de créer.
« Je ne savais rien faire d'autre que dessiner, et je vivais tout juste de mes illustrations. Faire face à une feuille blanche, un crayon à la main, pour dessiner sans relâche est un travail difficile et solitaire ».
À la fin du film, l'auteur a 75 ans et dit que, même s'il n'a plus la force de donner naissance à de nombreuses œuvres, il voudrait encore dessiner de nouveaux mondes. Espérons que tel sera le cas !
L'illustration se transforme en l'auteur et pendant le générique de fin, défilent des photos de Yoshihiro Tatsumi, de l'enfance jusqu'à l'âge adulte. C'est bouleversant de voir l'auteur en vrai, et de « vadrouiller » pendant tout le film entre sa vie et les histoires qu'il a inventées mais qui sont tellement réelles, tellement dramatiques.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce film n'est pas japonais mais singapourien (et c'est le premier film d'animation de Singapour que je vois !). Il s'inspire du manga autobiographique Gekiga hyôryû (Une vie dans les marges) et de cinq œuvres de l'auteur.
L'œuvre majeure de Yoshihiro Tatsumi
1954 : こどもじま Kodomojima (L'île aux enfants), Tsuru shobô
1956 : 黒い吹雪 Kuroi fubuki (Blizzard noir), Hi-no-maru bunko
1970 : 人喰魚 Hitokuigyo (Poisson cannibale), Hiro shobô
2002 : 大発見 Daihakken (Grande découverte), Seirinkôgeisha et en France : Coups d'éclat, Les larmes de la bête et Goodbye, Vertige Graphic, 2003, 2004 et 2005
2008 : 大発掘 Daihakketsu (Grandes fouilles), Seirinkôgeisha et en France : L'Enfer, Cornélius, 2008
2008 : 劇画漂流 Gekiga hyôryû (Un rescapé du gekiga), Seirinkôgeisha et en France : Une vie dans les marges, Cornélius, 2011
Ànoter que j'ai lu Coups d'éclat (2003),Les larmes de la bête (2004)et Goodbye (2005) à leurparution aux éditions Vertige Graphic et que ce sont pour moi des chefs-d'œuvres.
Par contre je n'ai pas lu Une vie dans les marges mais je le ferai dès que l'occasion se présentera !
Je mets cet article dans le challenge Dragon 2012.
La bande annonce française en VOST