Une étoile aux cheveux noirs est un roman d'Ahmed Kalouaz paru aux éditions du Rouergue dans la collection La Brune en novembre 2011 (108 pages, 12,80 €, ISBN 978-2-8126-0263-4).
Ahmed Kalouaz est né en 1952 à Arzew, près d'Oran, en Algérie. Il est romancier, nouvelliste, poète, dramaturge et auteur pour la jeunesse. Il vit à Villeneuve lès Avignon, dans le Gard.
Yamina, née en Algérie en 1927, a débarqué à Marseille en 1952 avec un enfant pour rejoindre son mari. En France, elle a eu d'autres enfants. Ils ont grandi et l'ont quittée, et son mari est mort depuis une vingtaine d'années. Elle habite donc seule au 8e étage dans un appartement à La Mure, près de Grenoble, en Isère.
« L'immeuble où tu as passé plus de 40 ans de ta vie va être rasé, grignoté, haché, par une machine qui mange le béton, le digère, le transforme en poussière. » (page 14).
Subir ça à 84 ans, c'est comme un nouveau déracinement pour elle.
Le narrateur décide donc de rendre visite à sa mère qu'il n'a pas vue depuis plusieurs semaines. Mais il va faire les 1 000 km qui séparent Brignogan, en Bretagne, de La Mure en mobylette !
« J'ai choisi la Motobécane bleue que pilotait mon père pour se rendre à son travail. » (page 9).
C'est la dernière semaine de septembre et il a prévu un voyage de dix jours.
Ce roman est remarquable sur plusieurs points. Voici ceux qui m'ont le plus touchée :
Éloge de la lenteur, de la volonté de prendre son temps. « […] il est impossible de suspendre le temps mais je vais tenter de le ralentir, prenant la route à vitesse lente, pour mieux te retrouver, traverser tout un pays, pour rejoindre le tien, là où tes rides sont devenues une certitude, comme un viatique pour la contrée des craintes […]. » (page 8). « À allure douce, je vais y revenir, rentrer chez nous en quelque sorte. » (page 9). « La poésie va lentement aussi, les phrases précieuses se construisent sans s'occuper du temps. » (page 9).
Originalité. Le narrateur s'adresse à sa mère (qui est restée illettrée) comme s'il lui écrivait une longue lettre, en plus très poétique, dans laquelle il raconte à la fois son voyage et les souvenirs de la famille (difficultés d'adaptation à ce nouveau pays, racisme, travail du père, jalousie à la naissance des autres enfants, éducation des enfants pour qu'ils ne tombent pas dans la délinquance, absence de dialogue entre le père et ses enfants...). « Quand tu m'invites à prendre place dans la cuisine près de toi, ces images-là reviennent, avec un peu de buée sur les vitres, un banc de brouillard dans ma mémoire. » (page 76).
Souvenirs et temps présent : les souvenirs qui se bousculent dans la tête du narrateur pendant qu'il roule alternent avec les rencontres du voyage (les gens dans les villages traversés, des pêcheurs, des routiers, un cycliste, des chevaux et un palefrenier, le propriétaire d'un gîte...) et les problèmes mécaniques de la mobylette. J'ai noté qu'à aucun moment, il n'y avait du racisme envers lui, de la surprise au vu de son moyen de transport, de l'intérêt et de la gentillesse, mais pas de racisme et c'est tant mieux.
Tendresse. Bien sûr, le narrateur aime sa mère et lui « parle » avec une grande douceur mais il dit aussi les incompréhensions face à son comportement (refus de déménager dans un appartement neuf et plus confortable) et ses idées (fuite dans la religion). L'auteur écrit avec une grande sensibilité, avec simplicité et humilité aussi, et le récit est vraiment touchant.
Amour du pays. Durant le voyage, le narrateur chante des chansons françaises à tue-tête, il aime son pays, la France, ce pays qui lui a permis d'aller à l'école, de tout apprendre, de pouvoir vivre bien. Il est conscient que ses parents ont souffert de l'exil et qu'ils ont souhaité retourner là-bas mais là-bas, ce n'est plus leur pays et ce n'est pas son pays.
Vieillesse. Le narrateur parle aussi très bien de la vieillesse et de la condition de femme seule à cet âge. « La vieillesse est un dépouillement, une dépossession, l'hiver de la vie emporte les dernières illusions, les pommiers en fleurs, les amandiers de ton enfance. » (page 26). « Je ne me doutais pas qu'un jour viendrait le spectacle de la vieillesse à l'œuvre, la démarche qui se fait plus lente, moins assurée, une plus grande fatigue encore sur ton visage, des mots avec moi d'avenir et sans rime. » (page 49). « Ta jeunesse s'en est allée ainsi, de jour en jour, de mois en mois, de paroles tues sous le poids des nuits. » (page 98). Et je vais mettre ce roman dans le challenge Ô vieillesse ennemie.
Ma phrase préférée
« Aux arrogants, les pauvres doivent expliquer encore et toujours pourquoi ils sont pauvres, pourquoi il leur manque de l'argent, un soupçon de dignité. » (page 48).
J'ai essayé de reconstituer le trajet
de l'auteur (merci à Google Maps itinéraire !). Je ne suis pas sûre à 100 % du trajet mais en gros, ça doit être ça. (Cliquez sur la carte).
Je mets ce roman dans les challenges Cent pages, Lire sous la contrainte (couleur), Petit Bac 2013 (catégorie partie du corps humain pour les cheveux, j'aurais aussi pu le mettre dans la catégorie couleur), Littérature francophone, Vivent nos régions (l'auteur décrit très bien l'Isère, la région de Chambaran, le Vercors, tels qu'il s'en rappelle et tels qu'ils sont maintenant). |
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