Le lieutenant est un roman de Kate Grenville paru aux éditions Métailié dans la collection Bibliothèque anglo-saxonne en février 2012 (239 pages, 20,50 €, ISBN 978-2-86424-852-1). The lieutenant (2008) est traduit de l'australien par Mireille Vignol.
Je remercie Newsbook et les éditions Métailié pour ce partenariat.
Kate Grenville est née le 14 octobre 1950 à Sydney (Australie). Elle est éditrice de films documentaires et professeur d'écriture créative. Elle écrit des nouvelles et des romans depuis 1984 et a reçu plusieurs prix littéraires.
Du même auteur : Le fleuve secret (Métailié, 2010).
Plus d'infos sur http://kategrenville.com/.
Daniel Rooke naît le 3 mars 1762 à Portsmouth où il vit avec ses parents et ses deux jeunes sœurs, Anne et Bessie. Dans ce village portuaire, tout le monde sait que c'est un enfant idiot. Mais en fait, il est particulièrement doué pour les chiffres et, à l'âge de 8 ans, il reçoit une bourse du Docteur Adair pour étudier à l'Académie navale de Portsmouth. Là, il apprend les mathématiques, l'anglais, le français, l'allemand, le latin, le grec, l'astronomie et la navigation. Il découvre qu'il a l'oreille absolue et pratique aussi le chant et l'orgue. En 1775, il a l'honneur de visiter l'Observatoire de Greenwich et de rencontrer l'Astronome royal. Évidemment, intelligence et talent attisent la jalousie et il est maltraité par ses camarades qui viennent tous de familles plus aisées.
Lorsque, à même pas 16 ans, il s'engage dans les marines, il voyage à bord du Resolution jusqu'à Antigua et se lie d'amitié avec Talbot Silk qui lui sait faire jouer les mots. Dans cette île des Antilles, il voit des esclaves pour la première fois et s'en trouve fort touché.
Blessé à la guerre, il est renvoyé chez lui en Angleterre et retrouve les siens. Il enseigne le grec et les mathématiques aux enfants mais aspire à autre chose. « Il n'en avait aucune preuve, mais il croyait dur comme fer qu'il trouverait un jour, quelque part au monde, l'endroit qui conviendrait à la personne qu'il était. » (page 21).
Et l'occasion, unique, va se présenter : en 1786. Le Docteur Vickery prévoit qu'une comète (autre que celle de Halley) sera visible entre octobre 1788 et mars 1789 mais seulement dans l'hémisphère sud. Le lieutenant Daniel Rooke embarque donc pour la Nouvelle-Galles-du-Sud. À bord du Sirius, il occupe les fonctions d'astronome. Un peu plus de neuf mois après, il débarque dans une baie inconnue (qui sera appelée Sydney Cove) et voit des naturels pour la première fois.
Une colonie se construit, formée par 800 forçats, 200 soldats et le gouverneur Gilbert (le premier gouverneur nommé par sa Majesté en Australie). Rooke, lui, installe un observatoire de fortune au sommet d'un promontoire rocheux. Il va bien sûr observer le ciel mais aussi les naturels et essayer de comprendre et de retranscrire leur langue.
« En toutes circonstances, les naturels seront traités avec cordialité et bonté, hurla-t-il [le gouverneur Gilbert] pour couvrir le grondement croissant des prisonniers. […] Nous devons absolument établir un contact amical avec les natifs, poursuivit-il. Sans leur coopération, nous risquons de compromettre le progrès et l'existence même de cette colonie. […]. » (page 57).
Mais tout ne va pas se passer comme espéré...
Daniel Rooke a souffert depuis l'enfance de sa différence. « Que ce soit en raison de sa stupidité ou de son intelligence, le résultat était le même : il souffrait le supplice de ne pas être plus en phase avec le monde. » (pages 14-15). « Il aspirait à devenir un garçon plus ordinaire, mais il était impuissant à devenir autre chose que lui-même. » (page 17). Il va donc apprendre consciencieusement, devenir un homme et, malgré le fait qu'il soit un soldat de sa Majesté George III, va devenir lui-même et développer une conscience humaniste.
« Il avait recherché l'insolite. Il était servi : l'étrangeté de cet endroit dépassait l'entendement. » (page 83).
Effectivement tout est insolite, en Nouvelle-Galles-du-Sud : le temps, la population, la langue, les animaux, les arbres... Même les étoiles sont différentes !
Les premiers contacts avec les naturels en auront pris du temps ! Mais Rooke se lie avec quelques natifs, hommes, femmes, enfants, et note tous les mots qu'il comprend (ou croit comprendre) dans des petits carnets bleus. « Mais une langue ne s'arrêtait pas à une simple liste de mots ni à une collection de fragments disparates comme une boîte d'écrous et de boulons. La langue était une machine. Pour l'activer, chaque aspect devait être compris en relation avec tous les autres. » (page 126).
La découverte de « l'autre » m'a fait penser aux paroles de Kenzaburô Ôé. Il y a dans l'attitude et les convictions de Rooke, non seulement la découverte, mais aussi le respect de l'autre, la volonté d'en savoir plus et de se nourrir l'un de l'autre.
Mais puisque les choses n'évoluent pas comme prévu, il faudra choisir : obéir ou désobéir.
Avec ce roman dense, qui se lit pourtant vite, j'ai vu passer le temps, différemment je veux dire. La narration prend son temps, il y a d'intéressantes descriptions, tout est à sa place sauf ces hommes qui arrivent de nulle part et sont perdus à l'autre bout du monde. J'ai appris beaucoup de choses et j'ai pris grand plaisir à la lecture de ce beau roman.
Kate Grenville explique que cette fiction est librement inspirée de l'histoire du lieutenant William Dawes qui « consacra le restant de ses jours au mouvement pour l'abolition de l'esclavage […]. » (page 239).