Les deux bossus est un recueil de contes d'Osamu Dazai paru aux éditions Philippe Picquier dans la collection Contes et légendes d'Asie en octobre 1997 (191 pages, 15 €, ISBN 2-87730-344-6). Otogi-zôshi お伽草紙 (1945) est traduit du japonais par Sylvain Chupin et illustré par Jean-Pierre Cagnat.
DAZAI Osamu 太宰 治 est né le 19 juin 1909 à Aomori (nord de l'île de Honshû) au Japon. Son vrai nom est Shuji Tsushima (津島 修治). Il est un des plus célèbres écrivains japonais du XXe siècle ; il est connu pour son style « watakushi shôsetsu » ou « shishôsetsu », style issu du naturalisme japonais (milieu naturel et réalisme) qui incorpore des éléments autobiographiques dans un récit écrit à la première personne du singulier. Il est aussi connu comme un homme aimant manier l'ironie, à la fois pessimiste et fantaisiste. Il est né dans une famille riche qui comptait déjà sept enfants mais son père était souvent absent pour ses voyages et sa mère était très malade. Après le suicide de l'écrivain Akutagawa Ryûnosuke en 1927, il abandonna ses études (littérature française) à l'Université impériale de Tokyo, sombra dans une vie de débauche et s'intéressa au marxisme. Mais, après son mariage et un accord avec sa famille, il reprit ses études et devint le grand écrivain que l'on connaît (il commença à être publié en 1935) mais rien ne lui fut épargné : addiction à un médicament contenant de la morphine, désintoxication, adultère de son épouse avec son meilleur ami, tentatives de suicide, divorce, guerre. Il mourut avec sa maîtresse le 13 juin 1948 (suicide par noyade) à Tokyo. Pour ceux qui ont le bonheur de lire le japonais, ses œuvres sont disponibles sur Aozora bunko.
Introduction
Pendant la guerre, un homme se réfugie dans l'abri antiaérien avec son épouse, leur fille de cinq ans et leur fils de deux ans. Pour calmer les angoisses de la fillette, il lui lit des contes avec un livre d'images.
Les deux bossus
« Il était une fois, il y a bien, bien longtemps » un vieillard de 70 ans qui était encore enjoué et en pleine forme malgré une énorme bosse sur la joue droite (il la considérait comme un compagnon, voire un petit-fils, à qui il pouvait parler). Il vivait sur l'île de Shikoku et était grand amateur de saké mais son épouse, taciturne, le rabrouait tout le temps à tel point qu'il devint morose et sombra dans l'alcool. Lorsqu'il faisait beau, il se promenait sur le mont Tsurugi et ramassait des branchages. « Quelle vue splendide ! » (page 14). Mais un soir, pris par la pluie, il se réfugia dans une cavité avec quelques animaux et fut témoin d'une étrange scène dans la clairière. Le lendemain, il alla raconter la scène à un autre vieillard qui lui aussi portait une énorme bosse mais à l'autre joue et qui en était fort mécontent.
Ce conte déformé par l'auteur est ici typique du tragi-comique ! Je vous laisse découvrir ce qu'il advint des deux bosses des deux vieillards !
Monsieur Urashima
Urashima Tarô vit avec sa famille dans le village de Mizunoe au nord de Kyôto. Comme il est l'aîné et donc l'héritier des biens familiaux, il est « stable et d'une courtoisie irréprochable » mais sa famille ne le comprend pas toujours. « C'est dans l'explosion de la curiosité que réside l'aventure, aussi bien finalement que dans sa maîtrise. L'un et l'autre ne vont pas sans périls. Car l'homme est marqué par les destin. » (page 43). Cependant, homme de goût, il aspire à vivre noblement sans importuner personne et ne comprend pas pourquoi les autres sont si critiques. Un jour, il est interpellé par une tortue qu'il avait sauvée : pour le remercier, elle veut lui faire visiter le légendaire Palais du Dragon et rencontrer la jolie Otohime qui joue du koto. Mais comme il refuse, la tortue se fâche : « […], vous autres, le spectacle de la vraie vie, cela vous soulève le cœur. » (page 54).
Urashima Tarô va apprendre ce qu'est la véritable noblesse d'âme et le renoncement à la sainteté. Il va dévoiler sa véritable nature. Ce conte est un peu l'équivalent japonais du mythe grec de la boîte de Pandore.
Le Mont Crépitant
Au bord du lac Kawaguchi, un des cinq lacs du Mont Fuji, un raton qui s'en est pris à une vieille femme subit les foudres d'un lapin. Mais à cause de la censure sur les livres pour la jeunesse, dans la version moderne, le raton se contente de griffer la vieille femme et les tortures que lui fait subir le lapin ne sont du coup plus du tout justifiées ! « Une vengeance doit être exécutée loyalement, car les dieux sont les alliés de la justice. » (page 111). L'auteur pense à une chose : et si le lapin était en fait une adolescente vierge, doucereuse et redoutable qui attirait le raton sur le Mont Crépitant ?
Un détournement de conte amusant et coquin qui explique bien la répulsion entre deux êtres mais qui ne m'a pas convaincue.
Le moineau à la langue coupée
C'est l'histoire d'un homme de 40 ans dans la région de Sendai qui est un bon à rien ; d'ailleurs il ne fait rien et ressemble déjà à un vieillard. Il est quand même marié, depuis 10 ans, à une femme qui a maintenant 33 ans mais il n'a pas d'enfant. « Autant dire qu'il ne remplissait aucun de ses devoirs envers la société. » (page 162). Pourtant, lorsque son épouse est dehors, un moineau, que l'homme appelle Rumi, entre dans la maison. Un jour, l'oiseau se met à parler mais la femme, en colère, lui arrache la langue et le malheureux moineau s'enfuit. Alors l'homme qui n'avait jamais rien fait de sa vie, va chaque jour dans le bois de bambous pour retrouver le moineau à la langue coupée.
Dans ce conte étrange, la personne qui a le cœur pur est récompensé même s'il a déçu sa famille, la société et son épouse.
Les otogi-zôshi 御伽草子 sont des contes issus du Japon médiéval et dont les auteurs sont inconnus (un peu comme les contes récoltés par les frères Grimm). Ces contes illustrés sont environ 350 et datent de l'époque de Muromachi (1392-1573).
Dans ce recueil, Osamu Dazai modifie les contes de deux façons. La première, c'est parce que le père de famille les raconte à sa fille de mémoire et en s'inspirant d'un album illustré (et les images n'ont peut-être rien à voir avec le conte d'origine). La deuxième, c'est que l'auteur fait des digressions (par exemple sur la tortue et son habitat dans Monsieur Urashima). Du coup, le lecteur a l'impression de lire quelque chose de différent et d'être dans la complicité de l'auteur.
L'auteur explique aussi pourquoi Momotarô n'est pas dans le recueil : « si je n'ai pas les moyens de me reporter un tant soit peu à la réalité, je suis un auteur sans imagination, incapable d'écrire ne serait-ce qu'une ligne ou un mot. Ainsi, au moment de me mettre à raconter l'histoire de Momotarô, me suis-je trouvé sans ressources, dans l'impossibilité de donner corps à ce héros absolument invincible dont je ne connais pas d'exemple. » (pages 156-157).
Une lecture pour le challenge Écrivains japonais que je mets aussi dans Animaux du monde (tortue, raton, lapin, moineau), Des contes à rendre, Des livres et des îles (Honshu et Shikoku Japon), Fant'classique, Je lis des nouvelles et des novellas (qui incluent les contes) Lire sous la contrainte et Petit Bac 2013 (chiffre/nombre), Tour du monde en 8 ans, Un classique par mois.
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