Requiem pour une révolution est un roman de Robert Littell paru aux éditions BakerStreet en mars 2014 (503 pages, 21 €, ISBN 978-2-917559-40-6). The Revolutionist (1988) est traduit de l'américain par Julien Deleuze.
Je remercie Virginie et les éditions BakerStreet (spécialisées en littérature américaine et anglaise) pour ce très beau roman, déjà paru en 1989 aux éditions Julliard sous le titre Les larmes des choses.
Robert Littell est né le 8 janvier 1935 à New York dans une famille juive originaire de Lithuanie. Il est journaliste et auteur de romans (en particulier espionnage comme La Compagnie, sur la CIA). Il vit entre les États-Unis et la France. Son fils, Jonathan Littell, est l'auteur de Les bienveillantes paru en 2006.
New York, mars 1911. Alexander Til, jeune ouvrier de l'habillement âgé de 17 ans, perd son père et son frère aîné dans l'incendie de l'immeuble Asch. Cent quarante quatre victimes ont péri dans cet immeuble de dix étages...
« Quelque chose se cassa en Alexander, comme une montre au ressort trop remonté ; il cessa de parler, de penser, de sentir. » (page 14).
Des semaines après le fatidique événement, Alexander reprend vie en annonçant à son demi-frère, Léon, qu'il veut se battre pour la Justice parce que le système crée des inégalités.
« C'est à ce moment précis de sa vie qu'Alexander commença à se considérer comme un révolutionnaire. » (page 15).
New York, 1917. Deux agent du FBI, dont un bleu d'une vingtaine d'années qui s'appelle Hoover, cherchent Alexander Til, un Blanc d'origine juive russe naturalisé Américain, pour piquets de grève illégaux et réunions illicites.
« De notre point de vue, dit Hoover, ce Til est un dangereux idéaliste. […] Mais votre point de vue est erroné. Dans les États-Unis d'Amérique, l'idéalisme n'est pas encore un crime. » (page 19).
À cette période, Alexander rencontre Trotski et Boukharine qui habitent le Bronx et il décide de retourner en Russie pour faire la Révolution.
« Il était destiné à retourner là-bas ! Il fallait qu'il y retourne ! Il y retournerait ! » (page 57).
Quant à Léon, le frère et ami, il choisit une autre voie, celle d'Israël mais « Léon l'avait averti que la Russie lui briserait le cœur, et elle l'avait fait. » (page 280).
J'ai été un peu surprise que le roman – sous-titré Le grand roman de la Révolution russe – commence aux États-Unis mais tout se tient et, bien vite, le personnage principal, Alexander Til (renommé Zander), sera en Russie et fréquentera les révolutionnaires et les intellectuels du Parti : Staline, Lénine, Skriabine, Maïakovski, Pasternak, Molotov, Zinoviev... et quelques années plus tard même Khroutchev jeune. Toute la révolution russe est passée au crible, c'est incroyable, quelle érudition dans ce récit, aussi bien qu'un bon document ! C'est parce qu'Alexander est en haut, parmi les décideurs. Mais la motivation des révolutionnaires côtoie leur ambition, la folie et les plus sombres desseins de cette révolution qui, « au nom du peuple », fit le contraire de ce qu'elle voulait faire...
« Les masses obscures savent ce que c'est que la terre, déclara Trotski d'une voix retentissante. Nous leur donnerons de la terre ! Elles savent ce que c'est que le pain. Nous leur donnerons du pain ! » Il paraissait s'étouffer d'émotion. « Elles savent ce que c'est que la paix. Nous leur donnerons la paix ! » Il se tourna vers le reste du groupe et leva de façon théâtrale les bras en l'air. « Nous assistons au début de la seconde Révolution russe. Espérons que beaucoup d'entre nous […] y participeront. » (page 46).
Certains se doutaient bien – et pas seulement les détracteurs – que le Parti et le Comité Central engendreraient un dictateur et qu'il y aurait des répercussions sur l'économie, l'art et la liberté des citoyens. Mais l'idéal semblait si beau...
« Quand nous serons au pouvoir, dit Lénine, nous abolirons toutes les frontières. Les gens seront libres d'aller et venir à volonté. Trotski parle toujours des États-Unis d'Europe. Pourquoi pas ? » (page 155).
Ces révolutionnaires se sont-ils menti à eux-même dès le début ou ont-il vraiment cru aux bienfaits d'une telle révolution meurtrière ?
« Les idéalistes ne survivront qu'un peu plus longtemps que les poètes » (Rhonza, page 210).
Car dès leur arrivée au pouvoir, après un bain de sang, les Bolcheviks transfèrent la capitale à Moscou, au Kremlin, s'arrogent des privilèges et mettent en place une surveillance accrue, de tous y compris des membres influents. Lénine a promis de faire disparaître l'armée, la police, la bureaucratie mais il n'en fait rien ; au contraire, dès son arrivée au pouvoir, il crée une police secrète, la Tcheka.
En tout cas, la guerre fratricide entre Russes blancs et Russes rouges et la mort du tsar et de sa famille se jouent à si peu de choses, c'est le destin, « nitchevo » ! Et le lecteur va vivre l'horreur de cette grande Russie, de Moscou à Perm en passant par Ekaterinbourg.
« La folie avait une méthode. Les gens qui échappaient à la purge se reprochaient des trahisons imaginaires et retournaient au travail plus ardents qu'auparavant pour cacher leur sentiment de culpabilité. » (page 328).
J'ai noté de nombreux extraits durant ma lecture mais je ne peux malheureusement pas tous les publier ici. Alors, que vous aimiez la Russie ou pas, que vous sachiez déjà des choses sur la révolution soviétique ou pas, je vous conseille fortement la lecture de ce grand roman dans lequel vous côtoierez les bolcheviks, les koulaks, les mencheviks, le Politburo, le Soviet, et avec lequel vous comprendrez tout sur la collectivisation, la grande purge, la déportation des Juifs au Birobidjan dans les années 50, la Tass, le Guépéou, le NKVD, etc. Et surtout, vous rencontrerez le peuple russe, ce peuple que les révolutionnaires qualifient de « masse obscure », ce peuple pris en otage dans une révolution qu'il n'a pas demandée et qui le dépasse, mais au nom duquel (comme d'autres au nom de Dieu) certains décident de tout même du pire !
Mes deux passages préférés
« Le crâne du poète vint heurter le mur de pierre. Des éclairs de lumière passèrent devant ses yeux et il crut un instant que la pièce avait explosé. La souffrance était intense... submergeait la pensée... son cerveau ne produisait plus d'idées... pas assez d'air... tout était vide... la douleur diminuait... il lui faudrait émigrer... les poètes étaient devenus des émigrés intérieurs... ils erraient dans le labyrinthe de la littérature, où le pouvoir soviétique ne pouvait pas les suivre... Pouchkine l'y attendait quelque part... Pouchkine le protégerait... » (page 348).
« Nous avions de si grands espoirs, Léon. Nous allions libérer les travailleurs et créer une société où les gens pourraient vivre sans entraves. Tu ne sais pas comment c'était juste après la révolution. Des balayeurs et des secrétaires siégeaient en conseil des ministres. N'importe qui pouvait donner son opinion et critiquer celle d'autrui. Tout était possible. Il n'y avait pas de limite. » (page 460).
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