Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers est un roman policier de Björn Larsson paru aux éditions Grasset en octobre 2012 (491 pages, 22 €, ISBN 978-2-246-78452-4). Döda poeter skriver inte kriminalromaner (2010) est traduit du suédois par Philippe Bouquet en collaboration avec l'auteur.
Björn Larsson est né en 1953 à Jönköping en Suède. Il est Maître de conférences en français à l'université de Lund, traducteur (danois, anglais, français), philologue, critique, romancier et navigateur chevronné. En 1995, Le cercle celtique a reçu le prix Corail du meilleur livre maritime et en 1999, Le capitaine et les rêves a reçu le prix Médicis étranger.
Karl Petersén, « directeur littéraire de la vénérable maison d'édition Arnefors et Fils », annonce à ses collaborateurs, « les fidèles Sund et Berg », qu'il a réussi à convaincre le célèbre poète, Jan Y Nilsson, à écrire un roman policier. Il a déjà un manuscrit, auquel il ne manque que la fin, « une cinquantaine de pages, tout au plus » et l'engagement définitif. Le contrat doit être signé le lendemain soir sur le bateau de pêche, le Mademoiselle Ti, à Helsingborg, et les droits ont déjà été vendus à une dizaine de confrères étrangers de confiance. « Mais, attention, rien ne doit filtrer avant la publication, qui aura lieu dans plusieurs pays européens simultanément. » (page 13).
En fait, Petersén n'est pas sûr et certain que Jan Y signera le contrat... Il a écrit un excellent roman policier mêlant politique et finances, L'homme qui n'aimait pas les riches, mais il hésite encore... Il a des scrupules, il pense aux critiques, à ses lecteurs... Il faut dire qu'il a décidé de se consacrer à la poésie à l'âge de 16 ans, qu'il a galéré, qu'il a été renié par son père, que sa mère en est morte de chagrin... Mais il reste intransigeant car la poésie est un art qui consiste à « rendre le monde visible » (page 19). Alors « Jan Y Nilsson, auteur de polar ! Cette simple pensée lui donnait des frissons dans le dos. Comment avait-il pu céder aux instances de Petersén ? » (page 23) cependant « Malgré ses réticences envers le roman policier, il avait trouvé son sujet dès le départ, et son cerveau s'était mis bientôt au travail malgré lui. » (page 27). Mais lorsque Petersén arrive le soir du mardi 6 février à bord du bateau, avec une bonne bouteille de Champagne, Jan Y est pendu dans le bureau aménagé, une bouteille de Champagne est entamée sur la table et un verre est brisé sous le corps...
Martin Barck, ancien de la Criminelle, maintenant commissaire de la Police maritime – poète à ses heures perdues : « On ne devenait pas poète parce qu'on avait du succès auprès du public, on l'était de corps, d'esprit et d'âme. » (page 62) – est appelé sur le lieu du crime. Oui, parce qu'il s'agit bien d'un meurtre, et pas d'un suicide comme il l'a pensé au début. « Je ne comprends pas qui a pu avoir l'idée de le tuer. On n'assassine pas les poètes. Ils se suicident. » (page 112).
Les premiers suspectés par le commissaire sont Karl Petersén, Anders Bergsten, le meilleur ami du poète, auteur de romans policiers, Tina Sandell, infirmière de nuit, et « compagne » du poète, et Axel Johnson, docker à la retraite que Jan Y voyait tous les jours près de son bateau.
Quelques phrases sur l'édition, la littérature, les écrivains et l'amour
« De toute façon, l'éditeur veillera à ce qu'il rentre dans ses frais. Le danger n'est pas là : c'est plutôt de décevoir les lecteurs ! Publier à grand renfort de publicité des livres qui ne sont pas à la hauteur, c'est saper la confiance du public et, au bout du compte, creuser notre propre tombe. » (Karl Petersén, page 9).
« Le polar ou le fantastique sont aussi respectables que la poésie ou le roman. » (Karl Petersén, page 9).
« […] presque tous les criminels de la littérature policière suédoise avaient connu une enfance difficile, été victimes de mauvais traitement et d'abus sexuels, eu des parents divorcés qui en plus étaient alcooliques ou toxicomanes. Ce n'était sans doute pas un hasard : parfois il semblait que l'écrivain suédois, pour être pris au sérieux, se devait de raconter sa jeunesse malheureuse. Meurtres, traumatismes infantiles, alcoolisme et cuites sous toutes ses formes, le tout pimenté d'une bonne dose d'angoisse, telle était la spécialité de la littérature suédoise. » (Anders Bergsten, pages 39-40).
« La littérature était devenue un produit de consommation, avec date de péremption, comme la viande et les légumes des supermarchés. Même les bibliothèques avaient commencé à faire le ménage sur leurs rayonnages pour privilégier les nouveautés que tout le monde lisait. » (Karl Petersén, page 118).
« Il y avait toujours quelqu'un qui ne faisait pas comme les autres, qui était l'exception à la règle et allait à contre-courant. […] Il fallait entretenir un contact direct avec la réalité, sous un angle nouveau, sans avoir tout rangé selon les clichés habituels. C'était la fidélité absolue à l'expérience personnelle qui était en jeu. » (Jan Y Nilsson, page 157).
« L'amour, se dit-il avant de s'endormir, était un port où on savait qu'on pouvait s'amarrer en toute sécurité, tandis que les déferlantes se ruaient à l'assaut des jetées et que les rafales secouaient le gréement. Ou un alizé, un souffle constant, puissant. Ou un somnifère... sans effets secondaires. » (Martin Barck, page 253).
« […] une maison d'édition sans bons écrivains n'était qu'une coquille vide. » (Karl Petersén, page 385).
J'ai craqué sur le titre et la quatrième de couverture m'a convaincue : il me fallait lire ce livre ! Et je n'ai pas été déçue, je l'ai dévoré !
Il y a dans ce roman de nombreuses références sur la littérature, la poésie, la peinture (surtout suédoises et françaises) et même des événements politiques ou historiques mais toutes ces références n'alourdissent pas le récit : je n'ai pas pu lâcher ce roman ! Je l'ai lu d'une traite (une bonne partie de la nuit) et j'ai passé un très agréable – et enrichissant – moment de lecture.
Ce roman, en plus d'être un excellent roman policier un peu atypique, se révèle être une méditation sur la place du poète et du romancier dans la société, une critique du journaliste et une réflexion sur l'utilité du critique littéraire.
J'ai repéré, page 214, un hommage au « commissaire Wallander, de la police d'Ystad » que tous les fans de romans policiers (pas seulement suédois) connaissent.
J'ai aussi repéré, page 364, un clin d'œil à « un manuscrit d'un débutant qu'ils avaient reçu quelques jours plus tôt et qui n'était pas sans qualités, même assez bon. Ce roman, travail de fin d'études à l'école d'écriture de l'université de Lund, se présentait lui aussi comme une sorte de roman policier, mais à caractère historique, et mettait en scène un employé de maison d'édition acceptant à contrecœur, après son départ à la retraite, de corriger un roman d'un écrivain avec lequel il avait collaboré auparavant. Or, le contenu controversé du livre l'entraînait dans toutes sortes de complications et l'exposait à certains dangers. » (page 364). Je l'ai lu ce roman ! Il est excellent ! C'est Le faux ami, de Henrik B. Nilsson (remarquez le nom de l'auteur), un gros coup de cœur de 2010.
Et lorsque le commissaire Barck lit le manuscrit dont il a exigé une photocopie, le lecteur profite du début du roman de Jan Y (pages 225 et suivantes), pas mal le coup du roman dans le roman.
Il y a de très bonnes choses partout dans ce livre et j'aurais pu relever encore d'autres extraits, par exemple le dialogue entre Anders Bergsten (l'auteur de romans policiers) et Martin Barck (le commissaire) page 161. Mais je voudrais que vous connaissiez un peu la poésie qui peuple ce roman.
Un poème de Jan Y Nilsson
« Je t'aime
voilà c'est dit.
Mais qu'ai-je dit
en te disant je t'aime ?
J'ai dit je
J'ai dit tu
J'ai dit aime.
Mais le chemin entre les deux
l'ai-je parcouru
avec toi ?
Je t'aime
mais qu'ai-je fait pour ce verbe
trop grand pour moi
comme des habits de fête
qui ne sortent pas le dimanche
des chants
qui raclent au fond de la gorge
des pas qui trébuchent
aux frontières de la danse ?
Je t'aime
et je suis là
le verbe ballant au bout de mes bras
ne sachant plus que faire de mes mains
ni où les mener. »
(pages 176-177).
Un autre poème de Jan Y Nilsson (lu à son enterrement)
« Donne-moi des livres
qui finissent bien
à défaut de romans
peut-être des poèmes
à défaut de poèmes
peut-être un quatrain
à défaut d'un quatrain
peut-être un seul vers.
Donne-moi un amour
qui finisse bien
le vôtre s'est échappé
le vôtre a laissé la porte ouverte
à ses fantômes
Tristan et Iseult
Roméo et Juliette
Henri et Yvonne
papa et maman
à jamais réunis
à jamais séparés. »
(pages 268-269, le poème continue sur encore 3 pages).
Et je voudrais finir avec « La poésie est capable de tout bouleverser. » (Niklas Schiöler, universitaire à Lund, page 408).