Yellow birds est un roman de Kevin Powers paru aux éditions Stock dans la collection La Cosmopolite en février 2013 (250 pages, 19 €, ISBN 978-2-234-07398-2). The Yellow Birds (2012) est traduit de l'américain par Emmanuelle et Philippe Aronson.
Kevin Powers est né le 11 juillet 1980 à Richmond en Virginie (États-Unis). Il s'est engagé à l'âge de 17 ans et a combattu en Irak en 2004-2005.
Le retour au pays a été difficile et Yellow birds, son premier roman, est largement autobiographique.
Yellow birds a reçu plusieurs prix. En 2012, il a été finaliste du National Book Award et il a reçu le Guardian First Book Award et le Flaherty-Dunnan First Novel Prize. En 2013, il a reçu le Hemingway Foundation/PEN Award et le Prix littéraire Le Monde.
Un livre sur la guerre ? J'en ai lu, oui, en particulier sur la deuxième guerre mondiale, mais maintenant, c'est rare que j'en lise. Et puis, j'ai vu et entendu Kevin Powers à la Fête du livre de Bron (la présentation et une photo ici + une autre photo et plusieurs vidéos ici) et j'ai su qu'il me fallait lire ce livre ! Je n'ai qu'un regret : l'auteur est parti tôt et je n'ai pas pu avoir de livre dédicacé...
« La guerre essaya de nous tuer durant le printemps. L'herbe verdissait les plaines de Ninawa, le temps s'adoucissait, et nous patrouillions à travers les collines qui s'étendaient autour des villes. Nous parcourions les herbes hautes avec une confiance fabriquée de toutes pièces, nous frayant, tels des pionniers, un chemin dans la végétation balayée par le vent. Pendant notre sommeil, la guerre frottait ses milliers de côtes par terre en prière. Lorsque nous poursuivions notre route, malgré l'épuisement, elle gardait ses yeux blancs ouverts dans l'obscurité. Nous mangions, et la guerre jeûnait, se nourrissant de ses propres privations. » (page 13, premières phrases du premier chapitre).
Printemps 2004. L'unité de John Bartle, surnommé Bart (21 ans), et de Daniel Murphy, surnommé Murph (18 ans), est à Al Tafar en Irak.
Al Tafar, c'est près du Tigre, ça devrait être beau, mais tout est en ruines, les survivants se sont enfuis dans les montagnes et la guerre a fait des milliers de morts, soldats, hommes, femmes, enfants, et même animaux (je le précise parce que l'auteur observe bien ce qui l'entoure, végétation, oiseaux, animaux domestiques).
« Tu n'es rien, voilà le secret : un uniforme dans une mer de nombres, un nombre dans une mer de poussière. » (pages 22-23).
Beaucoup d'hommes tombent mais la mort n'est pas inhabituelle.
« Murph aura toujours dix-huit ans, et il sera toujours mort. Et je vivrai avec une promesse que je n'ai pas pu tenir ? » (page 42).
L'unité de Bart et de Murph est sous les ordres du Sergent Sterling, un homme sévère mais juste, qui, malgré son jeune âge, a déjà une expérience de l'Irak et qui est respecté et admiré car il a reçu une médaille.
Le roman est composé de chapitres se déroulant en Irak, entrecoupés d'autres chapitres racontant des souvenirs puis de la vie après la guerre.
Les souvenirs : les classes militaires, la rencontre avec Murph, l'adieu aux familles avant le départ, la promesse faite malgré lui à LaDonna Murphy, la mère de Daniel alors qu'il n'avait rien promis à sa propre mère.
« John, promets-moi que tu prendras soin de lui. – Bien sûr. […] – Il ne lui arrivera rien, n'est-ce pas ? Promets-moi que tu me le ramèneras à la maison. – Je vous le promets, dis-je. Je vous promets que je vous le ramènerai. » (pages 58-59).
« J'eus le sentiment de contempler un mensonge. Mais je m'en fichais. Le monde fait de nous tous des menteurs. » (page 60).
Après la guerre, en mars 2005 : le debriefing à Kaiserslautern en Allemagne et le retour en à Richmond en Virginie. Avec la culpabilité. La culpabilité d'avoir tué. Et la culpabilité de ne pas avoir tenu sa promesse.
À Kaiserslautern, le père Bernard dit à Bart : « Les secrets que l'on garde pour soi sont les plus lourds à porter. » (page 70). Et le sergent Sterling, ivre : « Oh, bougonna-t-il, tout le monde s'en fout de Murph. […] Personne ne veut en entendre parler, de tout ça. » (page 81), ce qui ne l'empêchera pas de se mettre une balle dans la tête...
Tout au long du récit, l'auteur montre une profonde tendresse, pour ses personnages, les compagnons d'armes, la population d'Al Tafar, et pour ses propres souvenirs. Mais il y a aussi de la lucidité et une grande tristesse.
« Je songeai à la guerre de mon grand-père. Au fait qu'ils avaient des destinations et des buts à l'époque. Nous, le lendemain, nous marcherions sous un soleil qui se lèverait à peine à l'est au-dessus des plaines pour retourner dans cette ville qui avait déjà livré bataille : une lente et sanglante parade automnale qui marquerait le changement de saison. Nous les chasserions. Comme nous l'avions toujours fait. Nous les tuerions. Ils nous tireraient dessus, certains d'entre nous perdraient leurs membres, ils fuiraient en courant à travers les collines et les oueds pour se réfugier dans les ruelles poussiéreuses de leurs villages. Et ils reviendraient, et nous recommencerions depuis le début en les saluant tandis qu'ils s'adosseraient aux lampadaires, se tiendraient sous des auvents verts en buvant du thé devant la devanture de leurs boutiques. Nous patrouillerions dans les rues et lancerions des bonbons aux enfants qu'il nous faudrait combattre quelques années plus tard. » (pages 105-106).
Voici un de mes passages préférés. Il est intense et montre bien la stupidité de la guerre.
Une seule année passée là-bas, en Irak, et le retour est si difficile... Beuveries en Allemagne pour oublier, médecins qui ne peuvent pas combler le néant que laisse la guerre. Les rêves et les fantômes qui les habitent, la main qui agit mécaniquement car elle croit encore tenir une arme, le besoin de rentrer chez soi mais de ne pas savoir quoi faire de sa vie et du poids de la guerre... Et puis la culpabilité, encore, parce qu'en tant que soldat, on s'est senti soulagé lorsque le mort était un autre, parce qu'on a porté le poids de promesses impossibles à tenir, parce que ce n'était pas possible de veiller sur quelqu'un d'autre que soi, surtout parce qu'on a tué et qu'on réfléchit au pourquoi de son engagement (on voulait être un homme), parce que tout le monde est fier au pays mais qu'on se sent lâche et assassin. Parce qu'en tant que vétéran, les souvenirs et la tristesse ne partiront pas. Et qu'on ne pense qu'à une chose : avoir une « existence ordinaire » ! Mais « on ne sait jamais si ce que l'on voit ne va pas disparaître pour toujours. » (page 183).
Une lecture éprouvante mais agréable (vraiment, c'est très « beau », je pense que vous l'avez vu avec les extraits), salutaire même : bravo à l'auteur qui dit non à la guerre après l'avoir vécue. Il s'en est sorti, il a étudié la littérature, la poésie, et ce premier roman, tout en étant d'une grande sobriété, est puissant et impressionnant. Lisez-le !
Une lecture pour les challenges Petit bac 2013 (catégorie Couleur), Premier roman et Tour du monde en 8 ans (États-Unis).
Pas convaincu à 100 % ? Allez lire la note de lecture de Noukette !
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