« On ne doit jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu'on a lues » Sei Shônagon in « Notes de Chevet ». Lues, mais aussi aimées, vues, entendues, etc.
Le roman de Belgrade est un essai de Jean-Christophe Buisson paru aux
éditions du Rocher dans la collection Le roman des lieux et destins magiques
en mars 2010 (259 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-268-06922-7).
Je remercie Céline des éditions du Rocher de m'avoir envoyé ce livre qui m'a fait découvrir beaucoup de choses sur Belgrade et les Serbes.
En effet, on a tous entendu parler de la Yougoslavie d'après guerre avec Tito, puis de la guerre des Balkans avec Slobodan Milošević (1941-2006) et la création de plusieurs États : Bosnie, Croatie, Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Serbie et Slovénie. Mais qui connaît plus en détails l'histoire de cette région, c'est-à-dire les tenants et les aboutissants qui permettent de comprendre le pourquoi du nationalisme, de la guerre, de l'éclatement de la Yougoslavie ?
Jean-Christophe Buisson est né le 22 mai 1968 dans le Forez. Il est journaliste et connaît bien les Balkans.
Il raconte l'histoire de Singidunum ou Beograd (ville blanche) et des Yugo-Slaves (Slaves du Sud) depuis l'Antiquité (peuples néolithiques, légendes). Puis les incessantes occupations (Celtes, Romains, Goths…, Byzantins, Slaves, Bulgares, Hongrois, Ottomans, Autrichiens) à tel point que le premier roi serbe n'apparaît sur la scène qu'en 1284 alors que ce peuple était là depuis 630 ! Et jusqu'à nos jours. « Oui, Belgrade est une interrogation, un mystère, et son histoire, un véritable roman qui vire tantôt à la farce, tantôt au drame. Ce roman d'une ville qui incarne plus que tout autre la magie des Balkans, le voici. » (page 16).
Et c'est passionnant ! Ça se lit vraiment comme un roman !
En plus, on en apprend des choses ! On comprend mieux d'où vient le sentiment de la nation serbe, les symboles du royalisme et de la chrétienté, l'amitié avec la France depuis des lustres, etc.
Je ne savais pas l'influence que Belgrade et les Serbes (ainsi que les Croates, etc.) avaient eu en Europe depuis le Moyen-Âge, qu'elle était une ville très riche, aux idées démocratiques et humanistes dès le XIVe siècle, avait vécu une Renaissance avant l'Italie et la France (pour ne citer que ces exemples).
Par contre, je savais que la première guerre mondiale avait été déclenchée suite à l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand et de son épouse par Gavrilo Princip, un Bosniaque de Serbie.
La dislocation de la Yougoslavie est une amère déception. Pourquoi des peuples qui se sont de tous temps unis contre les envahisseurs – en particulier contre les Ottomans qui ont occupé le territoire pendant trois siècles donnant à la Serbie son statut de « seul rempart contre l'avancée ottomane en Europe » (page 36) – se sont-ils si sauvagement désunis à la fin du XXe siècle ? En effet, Michel Obrenović « a retenu que les peuples slaves peuvent et doivent s'entendre pour vivre libres. » (page 87) mais c'était en 1867...
Mais Belgrade est « redevenue en moins de dix ans la capitale des Balkans. Moins belle que Vienne, moins chic que Prague, moins préservée que Budapest, moins spectaculaire que Bucarest, mais tellement vivante, tellement animée, tellement imprévisible. » (page 15).
Si Belgrade vous intéresse un tant soit peu, je vous conseille de partir sur les traces de cette ville et de ces héros comme Djordje Petrović (dit Karadjordje ou Georges Le Noir) ou Miloš Obrenović.
L'auteur parle aussi de culture, en particulier de littérature et de poésie, et un peu d'architecture, d'urbanisme, de sports et de gastronomie.
J'ai bien aimé l'anecdote du « ? » (pages 76-77) mais je vous laisse découvrir ce que c'est !
En fin de volume, une chronologie et une bibliographie, toutes deux conséquentes.
Et plutôt que des extraits, des citations
Un Byzantin : « Ce peuple est terrible : il a une âme. » (page 24).
Lawrence Durrell : « Le communisme est encore plus horrible que vous ne pourriez le soupçonner, écrit-il alors à son ami Henry Miller : corruption morale et spirituelle systématique et par tous les moyens. » et « Pour chasser le spleen, deux armes : l'alcool ([…], racontera-t-il un jour à Jacques Lacarrière) et l'écriture. » (page 224).
Emir Kusturica : « Le problème de la Serbie et surtout ici, en son centre, à Belgrade, c'est que pour l'Est, on est l'Ouest, et que pour l'Ouest, on est l'Est. » (page 9).