Le jeudi 30 octobre, avant les élections américaines, François Busnel est à Central Park pour rencontrer des auteurs déracinés : Salman Rushdie, Elie Wiesel, Alain Mabanckou et Uzodinma Iweala, Ceridwen Dovey. L'émission se déroule comme un hommage à L'attrape-coeur de J.D. Salinger puisque les auteurs devront répondre à cette question : « Où vont les canards quand les lacs sont gelés ? ».
Promenade pédestre dans Central Park avec Salman Rushdie pour L'enchanteresse de Florence, un roman qui développe une « idée de revenir sur ce qui est la naissance du monde moderne », et dans lequel l'auteur utilise la magie pour faire communiquer des gens qui étaient contemporains les uns des autres mais qui ne se sont jamais rencontrées (l'auteur a en effet découvert Dracula et le raid de l'armée ottomane contre lui). Rushdie explique que de toute façon, à cette époque (XVIème siècle), la magie était très présente aussi bien en Orient qu'en Occident. Pour lui, le premier devoir de la littérature, « c'est le plaisir », il a donc voulu que son livre soit une passerelle entre Orient et l'Occident, entre la beauté et la laideur, mais aussi une « méditation sur la nature du pouvoir » et « sur le fanatisme ». Il a voulu rapprocher des civilisations qui ne se connaissent pas, les Moghols, les Ottomans, les Occidentaux.
Après avoir quitté son Inde natale et vécu en Angleterre, Salman Rushdie s'est installé à New York (depuis bientôt 10 ans). C'est une ville qu'il aime, pour sa vie politique, sociale, intellectuelle complètement différente à New York que dans les autres états même les plus proches. Ça fait plaisir de l'entendre parler un peu en français, même si l'anglais revient vite pour mieux exprimer sa pensée. Son prochain roman racontera l'histoire de quelqu'un qui s'installe à New York et il lui fait arpenter ce quartier qu'il connaît bien car il y a habité. C'est d'ailleurs amusant de voir des gens qui le reconnaissent et prennent des photos. Pour conclure, il déclare que « les canards s'en vont en Floride comme tout le monde » ! Salman Rushdie est un homme pétillant, intelligent, sensible et il a de l'humour, tout ce que j'aime et qui va me donner envie de lire son roman (en plus, la couverture est vraiment réussie).
François Busnel continue de marcher et raconte quelques anecdotes sur Central Park et Le Plaza (hôtel situé à Manhattan en face de Central Park) : Le Plaza a inspiré John Rodrigo Dos Passos un des premiers écrivains de New York, Heminghway y résidait une fois l'an quand il devait rencontrer son éditeur mais il détestait New York, Saint-Exupéry y a vécu de 1941 à 1943 et y a écrit Le Petit Prince, Paul Auster a grandi dans le quartier de Central Park.
Tout prêt, se dresse le bâtiment qui accueille la Fondation Elie Wiesel Pour la Paix et François Busnel rencontre Elie Wiesel pour Le cas Sonderberg, un roman qui se passe à New York dans le quartier beatnik (l'auteur n'a jamais été beatnik mais ce mouvement l'a intéressé car il a enseigné à des étudiants beatniks). Né en Roumanie et naturalisé français, Elie Wiesel est un écrivain de langue française qui vit maintenant à New York. J'aime sa façon de parler, son calme, sa sérénité : « nous avons apporté nos racines avec nous » dit-il dans le taxi alors qu'il met la kippa pour aller dans un quartier juif très orthodoxe de Brooklyn. Il n'y vit pas parce que ce n'est pas son monde, il a gardé la foi par respect pour ses ancêtres mais il n'est pas strict comme eux. Après avoir été interpelé par une dame qui lui parle de ses parents originaires du village de Sighet où il est né puis par un monsieur qui dit que tout est mensonge, Elie Wiesel dit que le fanatisme est un danger et qu'il n'y a pas de dialogue possible entre Israéliens et musulmans. À la question de l'animateur (en référence à son dernier roman) sur comment peut-on plaider à la fois coupable et non-coupable, l'auteur répond que « l'écrivain est dans chacun des personnages qu'il crée » mais « il n'est pas les personnages » et peut plaider à la fois coupable et non-coupable car « il n'y a pas de culpabilité collective ». Lui a choisi de parler mais certains Juifs ont choisi de se taire et il les comprend car « il n'y a pas de mot » et ce malgré ses 50 livres : lui met simplement en principe le « si tu cherches l'étincelle, fouille les cendres ». D'après Elie Wiesel, « les canards vont très loin et reviennent toujours dans une très belle chorégraphie ».
François Busnel se dirige ensuite vers Harlem pour rencontrer deux écrivains noirs, Alain Mabanckou (francophone) et Uzodinma Iweala (anglophone).
Alain Mabanckou né au Congo-Brazzaville en 1966 a étudié les lettres et la philosophie dans son pays puis le Droit à Paris. Il a écrit plusieurs romans, récits et recueils de poésie depuis 1998 et vit maintenant à New York. Bien qu'il soit le traducteur en français d'Uzodinma Iweala, c'est la première fois qu'ils se rencontrent.
Salman Rushdie est un grand défenseur de Bêtes sans patrie, le roman d'Uzodinma Iweala, où l'auteur raconte les enfants soldats avec « un style fracassé » et « une destructuration du texte pour faire éclater quelque chose » : il mélange l'anglais créole du Nigéria et le parler d'enfant, le style oral et écrit car il veut créer une « forme parlée dans l'écriture ». Il veut aussi « revisiter les mythes africains ». En effet, né en 1982 à Washington dans une famille nigériane qui retournait régulièrement au Nigéria, Iweala est, à 25 ans, étudiant en médecine et « engagé pour faire changer les choses » : il a fait des recherches sur les enfants soldats, la violence, et « pointe du doigt tous les problèmes, avec audace et sans tabou », il se « méfie des stéréotypes sur l'Afrique » (lire son article Stop trying to 'save' Africa paru en 2007 dans le Washington Post). Il dit à François Busnel que des gens impliqués sont venus le remercier d'avoir écrit ce livre et déclare que « quand Barack Obama sera président, 'quand' et pas 'si', ça va beaucoup changer ».
En ce qui concerne les canards, Alain Manbouckou ne répond pas car il a repris cette question dans un de ces romans pour en montrer l'absurdité. Découvrez d'ailleurs Alain Manbouckou et son oeuvre grâce à son site officiel, à son blog sur CongoPage et à son nouveau blog Le crédit a voyagé.
Avant de rencontrer le dernier auteur, détour par la Librairie de France, au Rockfeller Center. Cette librairie ouverte en 1935 par le père d'Emmanuel Mholo, actuel propriétaire, est la librairie française la plus ancienne des États-Unis, mais elle va malheureusement fermer en septembre 2009 (à la fin du bail de location signé en 1994) car le loyer est devenu trop élevé (1000 dollars par jour !). Le père né en Grèce, a fait des études francophones et a émigré aux États-Unis où il a décidé de faire venir des livres français. Il a été invité par la maison Rockfeller pour ouvrir une boutique au Rockfeller Center. La population francophone de New Yok est nombreuse (environ 500000) et diversifiée (Français et autres francophones, Haïtiens, touristes). De plus, durant la Seconde Guerre Mondiale, beaucoup de Français vivaient en exil à New York dont des écrivains, André Mauroy, Jules Romains, Antoine de Saint-Exupéry, etc., qui ne pouvaient pas (ou plus) être édités en France ; le père Mholo a donc créé les éditions de La Maison Française et a publié plus de 200 ouvrages d'écrivains français en exil, qui sont introuvables en France. Mais actuellement le fils, qui n'a jamais reçu aucune aide du gouvernement français alors qu'il oeuvre pour la francophonie et qu'il promeut la littérature française depuis 1961, doit se débarasser de tous ces livres... C'est triste, très triste.
C'est à la Librairie de France que François Busnel rencontre Ceridwen Dovey pour Les liens du sang. Cette déracinée qui a conservé son identité sud-africaine a en fait plusieurs racines : elle est née en Afrique du Sud (sa mère, critique littéraire, a été une des premières à écrire sur Coetzee dans les années 80), a vécu avec ses parentes en Australie, a appris le français et a vécu à Bordeaux pendant un an (son père était un joueur de rugby professionnel et a joué du côté de cette ville d'où cet échange il y a 10 ans), a étudié à Boston (elle est arrivée aux États-Unis il y a 8 ans) et vit maintenant à New York.
Dans Les liens du sang, qui raconte un coup d'état, elle donne la parole aux proches qui témoignent. C'est donc « un premier roman polyphonique », « une fable courte et dense sur le pouvoir » où le lecteur est en contact avec les « gens superflus au service d'un pouvoir brutal ». Elle pense que même si ses parents étaient contre le système, ils ont profité de ce système et ils n'étaient pas les victimes.
Scoop : son prochain roman se déroulera au Pays Basque en France !
C'était une émission métissée, intéressante et enrichissante qu'il est possible de voir ou de revoir sur le site dédié de France 5.