Le Journal (1918-1920) de Nelly Ptachkina est paru aux éditions des Syrtes le 6 octobre 2011 (270 pages, 23 €, ISBN 978-2-84545-156-8).
Dnevnik est traduit du russe par Luba Jurgenson qui signe aussi la préface.
Je remercie les Agents littéraires et les éditions des Syrtes de m'avoir envoyé ce livre.
Nelly Ptachkina est une jeune fille russe qui découvre ce que toute adolescente découvre : son corps, les premiers émois, la littérature (la vie intérieure), le théâtre et les premiers bals (la vie mondaine). Elle pense à l'amour, au mariage, à l'idéal féminin, elle a même des idées avant-gardistes sur l'éducation des enfants et le travail des femmes (est-ce dû à ses lectures ?). Elle ne manque pas de projets : elle souhaite étudier le Droit, les Lettres et l'Histoire à l'Université puis voyager dans le monde et enfin travailler pour « défendre les faibles et les opprimés » (page 107). Mais elle vit dans une Russie en plein bouleversement (fin des années 1910-début des années 1920, après-guerre, bolchevisme).
C'est une jeune fille intelligente, brillante même (elle apprend entre autres la musique, le français, l'anglais et l'allemand), et son Journal est très bien écrit. Elle peut tomber dans l'orgueil : « Il y a l'intelligence et il y a le cœur, l'âme. Heureusement, j'ai les deux... » (page 16) mais reste le plus souvent très ouverte : « Anna Karénine m'a rendu deux grands services. Tout d'abord, ce livre m'a montré que les femmes « déchues » ne méritaient pas que le mépris, sentiment qu'elles m'inspiraient jusque là. Non, il faut d'abord comprendre comment elles en sont arrivées là. Il ne faut jamais condamner avant d'avoir compris ! » (page 17). Elle est parfois naïve (par exemple à propos de l'avis de Lénine sur la liberté d'expression qui serait une notion bourgeoise) et se veut à la fois romantique (les idées du passé) et moderne (les sciences et la raison).
Elle est passionnée de littérature, de théâtre. Elle voudrait être écrivain et se révèle, ma foi, bon écrivain et analyste. Elle se rend compte qu'elle est un témoin et que son époque deviendra aussi l'Histoire comme les époques lointaines où vivaient d'autres gens : « Je vis l'une de ces périodes historiques, elle s'accomplit devant mes yeux. » (page 27). Observer, analyser et laisser un témoignage est donc très important pour elle, peut-être même primordial.
Alors que son père est recherché (il n'a rien fait de mal, c'est simplement un bourgeois), la famille (père, mère, elle et Ioura, le petit frère) a fui Saratov en octobre 1917 pour s'installer à Moscou chez une tante (premier cahier) puis à Kiev chez le grand-père (deuxième cahier). Nelly a la nostalgie de son enfance et de l'insouciance de ses années de collège, elle regrette profondément la sérénité perdue, sa maison et ses amies. Elle aspire à une vie normale, une maison bien à eux, étudier et imaginer son avenir.
Elle est parfois lyrique ou mélancolique, sujette au doute et à des craintes, souvent justifiées vu ce qu'elle et sa famille vivent. « Si je n'avais plus rien d'individuel, si je devenais comme tout le monde ? Ce n'est pas de la vanité, non ! » (pages 28-29). Mais elle aspire avant tout au bonheur : « Je serais toujours heureuse de devenir écrivain. Quel bonheur ce serait ! » (page 36). « L'avenir... J'ai déjà dit que j'y pensais avec un frémissement de bonheur […]. Il me semble que ma vie sera différente de celle des autres, qu'elle sera lumineuse, passionnante. » (page 45). « Seigneur, comme il est bon de penser à cet avenir beau, actif, intéressant. Pourvu que mes rêves se réalisent. Pourvu que rien ne vienne m'en empêcher. » (page 107).
Elle développe une conscience sociale et devine les dangers du bolchevisme mais, dans un sursaut patriotique, préfère les dangers des Russes bolcheviques aux Allemands intrus : « Pensez un peu. Les Allemands nous auraient envahis et nous, on continuerait à se distraire comme si de rien n'était ? » (page 59).
Elle pointe l'importance de savoir ce qui se passe, d'être au courant des événements qui se déroulent dans son pays et dans le monde : « Quand on ne lit pas les journaux, on finit par oublier un peu ce qui se passe […]. Pourtant, on ne peut ne pas les lire, car leur monde bien que terrifiant, est le vrai, le monde réel, c'est la vie. L'ignorance ne peut créer qu'un monde faux. Il faut vivre la vraie vie. Il faut avoir le courage de suivre le cours des choses. À quoi sert de s'illusionner ? De toute façon, une fois que les événements seront là, la vraie vie nous prendra dans ses bras. » (pages 87-88). C'est un de mes passages préférés.
En fait, cela fait deux semaines que j'ai abandonné ce livre... Je voulais le reprendre, le terminer pour faire une note de lecture complète mais je n'en ai pas eu le courage. Je m'y suis pourtant vraiment intéressée et je le trouve réellement très intéressant, mais j'ai eu l'impression que Nelly se répétait trop souvent, tournait autour du pot, comme un animal qui tourne en rond et se mord la queue...
« 'Qu'est-ce qui me pousse à écrire un journal ?' se demande Nelly Ptachkina ; la réponse, éparpillée dans ces pages, pourrait être formulée ainsi : la complexité d'un être en construction dans un moment historique inouï. » (début de la préface, Luba Jurgenson, page 5).
Ce journal, témoignage de la vie russe (fin des années 1910, début des années 1920) et des bouleversements historiques et politiques, est justement ce qui m'a poussée à lire ce livre ! J'aime la Russie, son histoire, sa culture, et je disais déjà avec Des gens sans importance, de Panteleïmon Romanov que je connaissais peu les années 20. Le journal de Nelly Ptachkina me semblait donc l'idéal pour découvrir la vie d'une adolescente et de sa famille, et comment ils ont du fuir leur ville puis leur pays à cause des communistes.
« Je relirai certainement ce livre dans quelques mois ou quelques années. » écrit Nelly (page 12). Eh bien, je vais déjà le finir car la troisième partie « Kiev-Paris : février 1919-février 1920 » (troisième cahier) mérite sûrement d'être lue. Quant à le relire... Peut-être... Pourquoi pas, dans quelques temps. Car je trouve vraiment dommage d'être (plus ou moins) passée à côté de ce témoignage. Témoignage rare et précieux, j'en suis bien consciente.
J'ai noté quelques auteurs russes que je ne connaissais pas : Vassili Avseïenko (1842-1913), Vissarion Bielinski (1811-1848), Anatoli Mariengof (1897-1962), Dmitri Merejkovski (1866-1941).
Mes autres passages préférés
« Quelle chose merveilleuse que la lecture. On est transporté dans un tout autre monde. On sent, on vit, on apprend tant de choses en lisant ! Quel plaisir extraordinaire... » (page 134).
« Ah oui, je n'en ai pas encore parlé. En lisant, je note des expressions, des idées inspirées par le livre. Pas en marge, bien sûr, mais dans un cahier spécial. C'est Alexandre Karlovitch, mon professeur de Moscou, qui m'a donné cette idée. Quel pédagogue, quel maître c'était ! C'était un vrai plaisir que de travailler avec lui ! » (page 127). Je fais la même chose et c'est grâce à ces notes, ces extraits, ces idées que vous pouvez lire mes notes de lecture !
Je voudrais terminer avec ce passage prophétique puisqu'on sait que Nelly s'est tuée en chutant dans la cascade du Dard (Chamonix, au pied du Mont-Blanc) le 25 juillet 1920 (elle n'avait que 17 ans...) : « J'aime me tenir au bord du gouffre. Tout au bord. Un seul mouvement – et... Aujourd'hui, en m'approchant du bord de la falaise, pas aussi haute que je l'aurais voulu, j'ai pensé qu'un jour je mourrai en tombant dans l'abîme ! » (page 118).
Un livre qui entre dans les challenges du 1 % de la rentrée littéraire, Rentrée littéraire des Agents littéraires et Une année en Russie – 2011. Et puis aussi dans le challenge Littérature jeunesse & young adults que je rajoute.