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4 février 2014 2 04 /02 /février /2014 04:00

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire est un roman de Jonas Jonasson paru aux éditions Presses de la Cité en mars 2011 (454 pages, 21 €, ISBN 978-2-258-08644-9). Hundraåringen som klev ut genom fönstret och försvann (2009) est traduit du suédois par Caroline Berg.

 

Jonas Jonasson est né le 6 juillet 1961 à Växjö dans le Småland (Sud de la Suède). Il est journaliste et romancier. Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire est son premier roman. L'analphabète qui savait compter est paru aux Presses de la Cité en octobre 2013. Plus d'infos sur http://jonasjonasson.com/ pour ceux qui comprennent le suédois (nan, je plaisante, le site est en anglais).

 

Allan Emmanuel Karlsson vit depuis peu dans la maison de retraite de Malmköping dans le Södermanland mais il n'aime pas cet endroit et ne veut pas participer à la fête en l'honneur de son centième anniversaire. Il se sauve donc par la fenêtre de sa chambre, en chaussons, et avec presque rien.

« Il fuyait sa propre fête d'anniversaire, et c'est aussi une chose qu'on fait rarement à cet âge-là, principalement parce qu'il n'est pas fréquent d'arriver jusque-là. » (page 10). « […] même perclus de rhumatismes, c'était beaucoup plus rigolo d'être en cavale, loin de sœur Alice, que couché immobile six pieds sous terre. » (page 11). « Quand la vie joue les prolongations, il faut bien s'autoriser quelques caprices, conclut-il en s'installant confortablement. » (page 17).

Allan prend le premier bus pour n'importe quelle destination et embarque avec lui la grosse valise qu'un jeune homme parti aux toilettes lui a demandé de garder. À quinze heures, lorsque le bus part, sœur Alice frappe à la porte de la chambre d'Allan et le jeune homme sortant des toilettes se met très en colère.

« Putain de merde de connerie de chiotte... […] Tu vas crever, salopard de vieux débris... Il faut juste que je te retrouve avant. » (page 17).

Il faut dire que le jeune homme fait partie du gang Never Again et que la valise contient cinquante millions de couronnes !

À Byringe, la gare désaffectée où il est descendu, Allan fait la connaissance de Julius Jonsson qui a dans les soixante-dix ans (un petit jeune quoi !). Après que le jeune homme les ait retrouvé, les deux vieux vont être en cavale et embarquer d'autres personnes dans leur aventure : Benny, Gunilla Björkjund « Mabelle », son chien et son éléphante, Sonja.

« Allan Karlsson est vieux, c'est indéniable, mais c'est un drôle de loustic qui sait très exactement ce qu'il veut. » (page 57).

 

Entre sa naissance, le 2 mai 1905 dans une ferme d'Yxhult à côté de Flen (il est enfant unique) et la fin de ce roman, il se passe tellement de choses : Allan, le candide, – qui n'a été à l'école que pendant trois ans avant la mort de son père sait lire, écrire, compter et est un spécialiste des explosifs – a fait le tour du monde et il a rencontré les grands du XXe siècle mais je ne vous dirai rien de plus car il faut absolument lire ce récit rocambolesque ! Mais pas invraisemblable parce que tout se tient en fait ! J'ai beaucoup ri, surtout avec les derniers chapitres. Quelle histoire ! Et quelle cavale ! L'inspecteur Göran Aronsson n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles ! « En reprenant le volant, Aronsson réfléchissait. Plus il avançait dans cette enquête, plus elle lui semblait compliquée. » (page 71). « Le mystère du centenaire disparu et sans doute kidnappé passionnait tout le pays. » (page 125).

J'ai bien aimé les flash backs car les événements du présent s'illuminent grâce au passé, tout aussi rocambolesque mais encore une fois vraisemblable, d'Allan.

J'aurais voulu vous mettre d'autres extraits mais ça aurait défloré le suspense de ce roman alors partez vous aussi avec Allan : « Ça va être chouette de visiter un nouveau pays » ! (page 151).

Si j'avais su que ce roman était si bien et si drôle (je ne voulais pas le quitter, moi, le vieux !), je me serais décidée plus tôt à le lire car je l'avais vu sur de nombreux blogs ! Mais le marathon de lecture fut une excellente occasion et je remercie A. qui me l'a fortement conseillé.

 

Lu pendant le Marathon de lecture suédois pour le challenge Un hiver en Suède, je mets aussi ce roman dans ABC critiques 2013-2014 (lettre J), Petit Bac 2014 (catégorie Moment/Temps ou Verbe), Premier roman, Thrillers et polars (ce n'est pas marqué « roman policier » sur la couverture mais il y a une vraie enquête et des inspecteurs de police), Tour du monde en 8 ans et Voisins voisines (Suède).

 

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14 janvier 2014 2 14 /01 /janvier /2014 01:38

L'été des lucioles est un roman de Gilles Paris à paraître aux éditions Héloïse d'Ormesson le 23 janvier 2014 (222 pages, 17 €, ISBN 978-2-35087-243-8).

 

Je remercie Gilles et les éditions Héloïse d'Ormesson pour ce beau roman.

 

Gilles Paris naît le 5 avril 1959 à Suresnes (Hauts de Seine). Il travaille dans le monde de l'édition et de la communication. Il a déjà publié trois romans : Papa et maman sont morts (1991), Autobiographie d'une courgette (2002) et Au pays des kangourous (2012) dans lesquels il fait à chaque fois intervenir un enfant de 9 ans. Plus d'infos sur son site officiel, http://www.gillesparis.net/.

 

Ce livre est le premier de l'année 2014 que je reçois, je suis ravie et j'ai envie de le lire tout de suite ! Parce que j'ai une tendresse particulière pour les lucioles depuis que j'ai vu (rien à voir avec le livre !) Le tombeau des lucioles, d'Isao Takahata il y a plus de vingt ans. Pourtant, je suis un peu gênée vis-à-vis des livres reçus en 2012 et 2013 (peut-être même qu'il en reste deux ou trois de 2011 !) mais c'est décidé, je le lis et, comme c'est un très beau roman, j'en parle avant sa parution !

 

Victor Beauregard est un enfant de 9 ans qui décide d'écrire un roman. Il habite à Bourg en Bresse avec ses deux mamans, Claire et Pilar, sa grande sœur, Alicia, 14 ans, qui ne pense qu'aux garçons, et sa tortue, Katouta.

Claire, sa maman, est libraire. Pilar, venue d'Argentine, peint des tableaux inspirés de son enfance et elle est devenue sa deuxième maman.

Les parents de Victor sont séparés – mais pas divorcés – depuis qu'il a 2 ans et son papa lui manque.

François, le père qui « ne veut pas grandir », reçoit Alicia et Victor régulièrement, dans son appartement à Paris mais il voyage beaucoup car il est photographe pour guides touristiques.

Pour les vacances d'été, la petite famille descend sur la côte méditerranéenne à Roquebrune-Cap-Martin où le père a hérité de l'appartement de sa sœur aînée, Félicité, morte dans un accident de voiture, mais il n'y vient jamais et l'été se passe toujours sans lui... Pourquoi ?, se demande Victor.

 

Le clin d'œil de l'auteur aux lectrices (avec les mots de Victor, c'est trop mignon)

« Maman est libraire. Elle écrit des petits mots tout en fluo pour les livres qu'elle a aimés, un Post-it jaune qu'elle colle sur la couverture pour attirer le regard du client. Maman tient aussi un blog où elle raconte l'histoire des livres, avec le prix, le nombre de pages et un mot pour les définir. C'est souvent « humain » ou « passionnant ». Et elle y annonce, un mois avant, les signatures des écrivains qu'elle va chercher à la gare tous les samedis. C'est simple, maman lit tout le temps, sauf sous la douche et quand elle dort. » (page 12).

 

Ce roman, c'est la magie de l'été, avec de nouveaux amis (Gaspard, Tom et Nathan, les jumeaux, Rosita, la gardienne de la résidence et Hedwige, la baronne qui a perdu sa famille), la mer et les baignades, les balades sur le chemin des douaniers surplombant la mer, les papillons, les cigales et la nuit avec les lucioles, les orages de chaleur et les gouttes de pluie qui sèchent avant de tomber au sol tellement il fait chaud, et surtout le premier amour (Justine de Vallon-Tonnerre).

C'est doux, c'est tendre et poétique, c'est drôle aussi ; ça m'a fait penser à deux romans coups de cœur de 2012, deux romans dont un garçon est aussi le narrateur avec tendresse et humour : Au pays des kangourous du même auteur (avec Simon, 9 ans) et Arsène, de Juliette Arnaud (avec Georges, 11 ans) mais les histoires sont différentes (quoique ça parle aussi de la famille et des relations humaines) et j'ai bien senti qu'il y avait un mystère.

Victor, en petit garçon attachant, à la fois naïf et mature, a bien quelques certitudes sur le monde des grands mais ce monde est pour lui « comme un grand point d'interrogation » (page 24) et il ne comprend « pas toujours les grandes personnes » (page 53).

L'été des lucioles est un roman vivant, vivifiant, spontané et sincère qui réchauffe le cœur en plein hiver et, même si je n'ai jamais passé de vacances familiales au bord de la mer, c'est un peu de mon enfance qui a ressurgi à certains moments, à certains questionnements de Victor, car qui n'a pas connu de secret de famille, des séparations, des deuils, des choses cachées qu'on a envie de savoir et de comprendre ?

Et pour conclure, comme dirait Claire, la maman libraire, c'est un roman humain et passionnant !

 

Mes phrases préférées

« À part les nains, tout le monde peut grandir en taille. Ça, c'est ce que l'œil voit. Mais grandir à l'intérieur, c'est plus compliqué. » (page 30).

« Je déteste me déguiser. C'est nul. Je n'ai pas envie d'être quelqu'un d'autre. » (page 83).

« Les secrets, Victor, c'est comme les coquillages qui refusent de s'ouvrir. On ne sait jamais ce qu'il y a à l'intérieur. » (Hedwige, page 106).

« Un jour, Victor, nous quitterons nos mamans. Nous irons vivre ailleurs, à Paris ou n'importe où, et nous essaierons de faire mieux. » (Alicia, page 155).

« Je suis un petit garçon extraordinaire. Je n'ai peur de rien. Ou presque. » (page 173).

 

Découvrez Gilles Paris et L'été des lucioles dans l'émission Dans quelle étagère le jeudi 23 janvier à 9 h 05 sur France 2 avec rediffusion le lendemain à 5 h 50. (source TéléObs).

 

Une lecture pour les challenges Animaux du monde (lucioles et papillons), Bookineurs en couleurs (couverture bleue), Petit Bac 2014 (catégorie animal) et Rentrée littéraire d'hiver 2014 (premier roman 2014, un coup de cœur, je la sens bien cette année !).

 

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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 14:08

Pietra viva est un roman de Léonor de Récondo paru aux éditions Sabine Wespieser en août 2013 (228 pages, 20 €, ISBN 978-2-84805-152-9).

 

Je remercie Oliver et Price Minister pour ce 4e partenariat de la rentrée littéraire. Une note est demandée alors je donne 19/20.

 

Léonor de Récondo est née en 1976. Elle est violoniste (classique et baroque). Du même auteur : La grâce du cyprès blanc (Le temps qu'il fait, octobre 2010) et Rêves oubliés (Sabine Wespieser, janvier 2012).

 

Rome. Fin mars 1505.

Ce matin, Michelangelo Buonarroti, 30 ans, apprend qu'un moine est mort et que le père supérieur l'autorise à ouvrir le corps. « Andrea voudra rester pour voir ce qui demeure à l'intérieur du corps quand l'âme s'en est allée. » (page 12). Mais le corps est celui d'Andrea, jeune moine qui fascinait Michelangelo : Andrea, jeune, beau, fort, au regard « bleu sans peur » était « la beauté à l'état pur. La perfection des traits, l'harmonie des muscles et des os. » (page 15).

Michelangelo est bouleversé, il fuit Rome et se rend à Carrare où il achètera du marbre pour le pape Jules II qui lui a commandé un tombeau. « Là-bas, il oubliera. Il en est presque sûr. » (page 17). Mais Michelangelo n'oublie pas, il écrit des lettres à frère Guido qui ne répond pas à sa question : comment est mort frère Andrea ? Il est tant obsédé par le jeune moine qu'il le voit dans les rues du village... « Andrea, tu es la beauté que je ne saurai jamais atteindre avec mon ciseau. Tu es la preuve ultime de la supériorité de la nature sur mon art. Te voir me rappelle mon inutilité. » (page 98).

Quant à la carrière de Carrare, Michelangelo la connaît bien : ayant perdu sa mère enfant, il y allait avec sa nourrice qui rejoignait son époux. « Il allait voir les uns et les autres. Chacun lui montrait, lui expliquait ce qu'il faisait. […] À force de côtoyer leurs rires et la montagne, la fièvre de la pierre était entrée en lui et ne l'avait plus quitté. » (page 60). « […] en apprenant à maîtriser la pierre, il apprendrait à maîtriser le monde […] Et quand, la tête la première, il plongea dans son magma intérieur, il s'aperçut que sa chair était faite de pierre vive. De pietra viva. » (page 61).

Le soir, à la pension de Maria où il loge, Michelangelo lit Pétrarque que lui a offert son ami Lorenzo de Medici, mais il n'ose ouvrir la petite Bible que lui a laissée Andrea.

 

Ce roman est l'occasion de découvrir, en ce tout début de XVIe siècle, la vie de Michelangelo, ses pensées (il est tourmenté et assez égoïste), son Art (il est un génie et il le sait !), et aussi les carrières de Carrare, le difficile travail du marbre, les montagnes toscanes et ses habitants.

J'aime bien Cavallino qui s'occupe du cheval de Michelangelo et qui se prend pour un cheval. J'ai été émue par Michele, 6 ans, le plus jeune fils de Giovanni (un carrier) qui vient de perdre sa maman et se rapproche de Michelangelo qui parfois le repousse mais qui va retrouver grâce à lui des souvenirs d'enfance.

D'un côté, il y a le mental et la vie artistique du sculpteur, d'un autre côté, il y a la vie manuelle et dangereuse des carriers mais les deux sont liés et ils ne sont rien l'un sans l'autre.

Michelangelo aime la beauté, il l'admire, il s'en inspire, il en vit. « Le sculpteur se sent, à cet instant, entièrement libre. Et lorsqu'il se retourne vers la montagne qui, à quelques lieues de là, embrasse le paysage, une joie insoupçonnée éclate en lui. La beauté miraculeuse de la nature alentour lui signifie que tout est possible, qu'en créant, il devient maître de lui-même et de sa force. » (page 78). C'est pour des passages comme celui-ci que j'ai vraiment beaucoup apprécié ce récit (que d'autres ont malheureusement trouvé ennuyeux) plein de beauté, de grâce et de simplicité.

 

Encore un roman de cette rentrée littéraire pour lequel j'ai un coup de cœur : la période et le thème y sont pour quelque chose bien sûr, mais c'est surtout l'écriture fine de Léonor de Récondo, l'ambiance poétique (presque lyrique) qu'elle insuffle dans ses courts chapitres (pas envie de s'arrêter, envie d'en lire un autre, toujours) et l'émotion qui se dégage du récit qui m'ont totalement charmée.

 

Dans ce roman, il y a un échange de lettres entre Michelangelo et Frère Guido et je voulais partager cet extrait pour le challenge En toutes lettres : « Soudain, la lecture d'une fragile lettre, quelques mots sur du papier, a immobilisé le temps. » (page 71).

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2013, L'art dans tous ses états (sculpture), Bookineurs en couleurs (la couverture est jaune pâle) et bien sûr Il viaggio (Italie).

 

PS du 19 décembre 2013 : L'article avec le bilan de ce partenariat et les classements des livres par popularité et par satisfaction est sur le site de PriceMinister et je suis très contente pour Pietra viva !

Pietra viva, de Léonor de Récondo

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 03:43

Les fuyants est un roman d'Arnaud Dudek paru aux éditions Alma en août 2013 (127 pages, 15 €, ISBN 978-2-36-279064-5).

 

Arnaud Dudek est né en 1979 à Nancy et il vit à Besançon.

Du même auteur : Les vies imperméables (2011) et Rester sage (2012).

 

Quatre hommes.

Jacob Hintel, le grand-père, marié à Françoise Giotto.

David Hintel, le père, marié à Esther Yachar.

Simon Yachar, l'oncle (frère d'Esther).

Joseph Hintel, le fils de David et Esther.

David. Le mardi 4 septembre 2001, à l'heure du thé, David s'est suicidé en buvant de l'insecticide. Depuis, Joseph est hanté par ce que son père a fait, par « ce qu'il a vu avant de tout envoyer valser » (page 16).

Simon, trente-deux ans, fréquente Marie, une étudiante en droit, mais il se sent coupable de coucher avec une fille trop jeune. « Je couche avec une ado... » (page 23). Après vingt ans de marche athlétique, Simon, surnommé le Yack, met fin à sa carrière de sportif. Dans un salon de thé, il parle avec Esther, sa sœur, inquiète pour Joseph, son fils de seize ans, toujours enfermé dans sa chambre et qui ne communique plus avec elle.

Jacob, jeune marié, papa d'un petit David. « Cette première vie d'homme marié trop jeune, Jacob décide brusquement de la quitter. » (page 26). Jacob fuit mais sa vie ne sera pas meilleure... Été mille neuf-cent soixante-seize, Jacob quitte le domicile conjugal alors que son épouse et David, leur fils de dix ans, sont à la fête de l'école. « Jacob a mis du temps à réunir assez de courage pour être lâche. » (page 55).

Joseph, hacker, marxiste et altermondialiste, utilise à merveille ses connaissances en informatique. « Joseph Hintel, son ordinateur, ses écouteurs vissés à son crâne, son existence 2.0 dans sa chambre d'adolescent aux volets fermés. » (page 40). Mais la police vient l'arrêter.

 

Quatre hommes fuyant leur propre existence, quatre vies liées puisque ces hommes sont de la même famille (Hintel... Intel ? Untel ?), même si pour Simon, c'est par alliance. Mais des histoires de femmes aussi, car la vie des hommes est liée à celle des femmes. Pour David, c'est Jeanne, secrétaire de direction trilingue rencontrée dans un train. Pour Jacob, c'est Sandrine, professeur d'Arts plastiques qui lui parle pour la première fois alors qu'il essaie de réparer un vieux téléviseur au collège où il est agent technique. Quant aux épouses officielles : Françoise est décédée après avoir élevée seule son fils unique, David ; Esther gagne bien sa vie mais elle peine à comprendre son fils unique, Joseph, un adolescent différent qui se croit homosexuel.

 

Des chapitres courts, filant d'un homme à un autre, dans le désordre de la vie. Le lecteur lui n'est pas fuyant, il se faufile dans la vie de l'un ou de l'autre, il remet dans l'ordre le passé, le présent, les relations entre les uns et les autres, il doit comprendre les décisions de Jacob (fuir), de David (se suicider), de Simon (rater sa vie ?) et de Joseph (être lui-même ?, devenir un hacker criminel ?). Le style est vif, parfois ironique, l'auteur ne laisse pas son lecteur s'échapper (je l'ai lu d'une traite) et traite ses personnages avec tendresse malgré leur lâcheté.

 

Un roman et un auteur à découvrir et à suivre assurément !

 

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2013 et Lire sous la contrainte (je sais, je publie ma note de lecture en retard, après le 20 octobre, pour la contrainte 10 lettres, mais j'ai lu ce roman le 12 octobre durant le Marathon de lecture d'automne alors j'espère que Philippe acceptera ce lien).

 

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28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 00:03

Sauf les fleurs est un roman de Nicolas Clément paru aux éditions Buchet-Chastel dans la collection Qui Vive le 22 août 2013 (75 pages, 9 €, ISBN 978-2-2830-2662-5).

 

Nicolas Clément « est né en 1970 à Bourgoin-Jallieu. Agrégé de philosophie, il enseigne en lycée et en classes préparatoires. » (source : site de l'éditeur). Plus d'infos sur http://www.nicolas-clement.com/.

 

Marthe et son petit frère Léonce vivent avec leurs parents, Andrée et Paul Reynaud, dans une ferme isolée d'un village français.

Ça sent bon le cèdre, le pain grillé du petit-déjeuner, la campagne et les animaux.

Mais...

« Aujourd'hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus. » (introduction, page 7).

En dehors de l'école, les activités de la jeune Marthe, ses deux joies, sont « coudre pour Maman et lire des histoires à [son] frère. » (page 11), les deux êtres qu'elle aime.

Le père, peu causant, est violent... Marthe n'arrive pas bien à en parler, elle se rattache aux animaux : « les bêtes nous sauvent. » (page 13).

La nuit, Marthe, devenue insomniaque, prie pour que ce père qu'elle a tant aimé avant meure mais « Maman répète C'est votre père, Et vous devez l'aimer. » (page 14).

Dans le bus qui va à l'école, les autres enfants sont méchants, moqueurs et insultants...

« Pour sécher les crachats, je note les insultes – les mots sont des buvards. » (page 17).

Heureusement, il y a Mademoiselle Nathalie, la gentille institutrice, et puis il y a les fleurs, les mots et les livres qu'il faut cacher car le père ne veut pas de ça à la maison.

« La soif de connaître ruisselle de mes poings serrés. » (page 19).

Marthe souhaite étudier le grec, devenir professeur et traduire Eschyle.

À seize ans, elle fait la connaissance de Florent qui veut être musicien.

« Il me plaît, je me laisse faire. » (page 28).

L'inéluctable arrive et Marthe part à Baltimore avec Florent, mais son âme est restée à la ferme, avec Maman, Léonce, les animaux et les fleurs.

 

« Je donnerais toute ma vie pour avoir une vie. » (page 28) pense Marthe. Elle va la vivre, sa vie, dans la souffrance, dans l'abandon, dans le déracinement, et le lecteur va la suivre dans les moments clés de cette vie (les différents chapitres), 12 ans, 16 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans.

C'est beau, c'est puissant, c'est violent, c'est cruel et c'est tendre et triste aussi.

« Je rame, le bonheur est là. » (page 55).

Sauf les fleurs est un premier roman au style épuré tout en pudeur, poignant (il m'a tellement bouleversée que j'en ai pleuré !), d'une grande sensibilité et inoubliable.

Quel coup de maître ! C'est peu de dire que ce roman est un coup de cœur ! Je vais suivre cet auteur de près, ça c'est sûr !

 

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2013, Animaux du monde (parce que les chiens, les chats et les animaux de la ferme y ont une grande place), Je lis des nouvelles et des novellas (roman très court) et Premier roman.

 

Un extrait de Sauf les fleurs lu par Judith Magre, une actrice française née en 1926.

Une interview de Nicolas Clément à la librairie Mollat (il vaut mieux écouter l'auteur après avoir lu le roman).

Une interview de Nicolas Clément à la librairie Mollat (il vaut mieux écouter l'auteur après avoir lu le roman).

http://youtu.be/nHbqnaBqQVw

PS : Monsieur l'a lu et n'a pas du tout accroché !

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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 03:11

Bestseller est un roman de Jesse Kellerman paru aux éditions des 2 Terres le 16 octobre 2013 (393 pages, 21,50 €, ISBN 978-2-84893-142-5). Potboiler (2012) est traduit de l'américain par Julie Sibony.

 

Je remercie Carla et les éditions des 2 Terres pour cet excellent roman que j'ai pu lire avant sa parution en librairie.

 

Jesse Kellerman est né le 1er septembre 1978 à Los Angeles (Californie). Ses parents Faye et Jonathan Kellerman sont eux aussi auteurs de romans policiers ! Déjà traduits en français : Les visages (2009), Jusqu'à la folie (2011) et Beau parleur (2012). Plus d'infos sur http://jessekellerman.com/.

 

William (Bill) Kowalczyk et Arthur Pfefferkorn sont amis depuis le collège ; ils étaient inséparables et ont étudié ensemble mais la vie d'adultes les a séparés.

Bill est devenu un célèbre auteur de polars (sous le pseudonyme de William de Nerval) alors qu'Arthur, un peu aigri, n'a publié qu'un roman (en 1983) et qu'il est professeur d'écriture dans une université.

À l'enterrement de son ami (mort dans un accident de bateau), Arthur revoit sa veuve, Carlotta, dont il a toujours été amoureux, et passe la nuit chez elle dans son immense maison. Dans la nuit, il retourne dans la grange qui servait de bureau à Bill et vole le dernier manuscrit inédit, Jeux d'ombres.

Pourtant Arthur n'aime pas les polars et les thrillers.

« Pfefferkorn essaya de savoir ce qui était pire : n'avoir aucun goût ou en avoir et le mettre de côté ? Dans les deux cas, ce n'était pas le but de la littérature. » (page 29).

Arthur va lire le manuscrit de Bill, le corriger, l'étoffer, modifier le nom du héros (Dick Stapp devient Harry Shagreen), le terminer et Du sang dans les yeux va devenir en un rien de temps un bestseller !

« Il avait serré tellement de mains et dédicacé tellement d'exemplaires qu'il avait eu un début de tendinite au poignet. Son éditeur lui avait créé un site internet en l'encourageant à se mettre aux réseaux sociaux. » (page 86).

Même s'il a du mal à écrire un deuxième roman, tout va bien pour Arthur ! Carlotta, un roman bestseller, la célébrité, la richesse, le mariage de sa fille unique. Jusqu'au jour où il reçoit un mot de Lucian Savory, l'agent littéraire de William de Nerval...

La suite des aventures d'Harry Shagreen, Du sang dans la nuit, va enfin paraître mais Arthur est soupçonné d'avoir tué Jesús Maria de Lunchbox, le professeur de tango de Carlotta, et d'avoir enlevé la veuve de son meilleur ami.

Arthur fuit les États-Unis et se retrouve en Zlabie, pays africain divisé en deux car un conflit dure depuis plus de 400 ans entre deux camps qui sont pourtant de la même ethnie.

« Il admirait et plaignait à la fois un peuple si férocement attaché à son héritage culturel qu'il pouvait passer quatre siècles à s'entre-tuer sur une question de sépulture fictive. » (page 213).

 

Mes passages préférés

« Rien ne se passait, parce qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'il avait fait. C'était un truc de mauvaise littérature, mais c'était pourtant vrai. Il s'aperçut alors que les trucs de mauvaise littérature avaient beaucoup plus de chance de se produire dans la vraie vie que les trucs de bonne littérature, parce que la bonne littérature éclairait la réalité alors que la mauvaise littérature s'appuyait dessus. Dans un bon roman, les motivations de Carlotta étaient bien plus compliquées qu'elles n'apparaissaient. Dans un bon roman, elle réfrénait ses accusations pour pouvoir les lui lancer au visage plus tard dans un rebondissement inattendu. Dans le mauvais roman de la vie, elle n'était tout simplement pas au courant. » (page 97).

« […] il songea aux similarités entre l'espionnage et l'écriture. Les deux supposaient de pénétrer dans un monde imaginaire et d'y prendre ses quartiers avec conviction, presque au point de s'y laisser tromper. Les deux étaient des boulots que, de l'extérieur, les gens trouvaient exotiques, mais qui étaient en pratique plutôt fastidieux. » (pages 240-241).

 

Bon sang, quel roman ! Comme les chapitres sont courts, je voulais toujours en lire plus : le parfait page-turner. D'ailleurs, d'après Stephen King : « Un parfait polar prenant pour passionnés de polars palpitants par un auteur de polars sans pareil ! ».

Mais, plutôt qu'un polar, Bestseller est un thriller passionnant qui vire espionnage avec humour.

L'auteur traite bien la jalousie (alors que Bill fut jaloux de la qualité d'écriture de son ami, Arthur est jaloux de la facilité d'écriture et du succès de Bill), le monde de l'édition et celui de l'espionnage (malheur à celui qui est pris dans cet engrenage !).

La Zlabie, le pays imaginaire d'Afrique est impeccable : rien ne va, rien ne fonctionne et de chaque côté il y a un dictateur mégalomane qui gouverne. Arthur va devoir affronter tout un tas de dangers qu'un écrivain ne pense pas devoir affronter un jour !

J'avais repéré Jesse Kellerman, en particulier après la parution de Les visages, mais c'est la première fois que je le lis et j'adhère totalement ! Son écriture est enlevée, drôle et captivante : je veux absolument lire ses autres romans !

 

Vous ne connaissez pas Jesse Kellerman ? Lisez les 6 premiers chapitres (18 pages) de Bestseller sur http://www.les-deux-terres.com/PDF/KELLERMAN_BESTSELLER.pdf.

 

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2013, Mois américain, Thrillers et polars. Je vais le mettre aussi dans Lire sous la contrainte (titres en 10 lettres) car je l'ai lu le 13 octobre durant le marathon de lecture d'automne (j'espère que ça ira car je n'ai pas publié ma note de lecture avant le 20 octobre).

PS du 24 octobre : Un petit jeu pour gagner ce livre ici.

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 03:19

La tiare de Néfertiti est le tome 4 de Penelope Green, l'excellente série de Béatrice Bottet. Il est paru aux éditions Casterman en septembre 2013 (307 pages, 15 €, ISBN 978-2-203-06376-1).

 

Je remercie Brigitte et les éditions Casterman pour ce tome 4 qui se déroule en Égypte, super !

 

Plus d'infos sur Béatrice Bottet sur mes précédentes notes de lecture : La belle qui porte malheur (Rose-Aimée, 1) et Le marin perdu dans la brume (Rose-Aimée, 2), Le grimoire maléfique, La chanson des enfants perdus (Penelope Green, 1), L'affaire Bluewaters (Penelope Green, 2) et L'éventail de Madame Li (Penelope Green, 3).

 

« La ville s'était appelée Akhet Aton, « la cité de l'horizon d'Aton ». Ce n'était plus qu'un désert vaguement bosselé de monticules qui avaient été des maisons, des palais, des boutiques, des bâtiments administratifs, des tavernes, des temples. Au loin, des montagnes arides, nues, formant comme un immense amphithéâtre. Derrière, le Nil indifférent. Aucune végétation. » (premières phrases du roman, page 5).

« Akhet Aton... Une ville merveilleusement conçue et construite, une ville dans laquelle ont vécu des habitans d'une des civilisations les plus riches du monde au summum de son raffinement, puis une ville honnie. Ensuite abandonnée. Et enfin oubliée pendant trois mille ans... » (page 8).

 

Martha Moreley et Robert Jennings fouillent sur le site désertique et inhospitalier d'Akhet Aton, la Cité de l'horizon du Disque. La riche Anglaise a envoyé une lettre à Mr Grayson au Early Morning News car elle a une Incroyable Révélation à faire à Penelope Green. C'est l'occasion pour Penny de faire des articles sur l'Égypte et la condition des femmes dans ce pays. Malheureusement, Jasper Grayson est remplacé provisoirement par Max Thorn qui ne veut pas de femmes journalistes... « L'Égypte n'est plus d'actualité, Miss Green, je regrette. » (page 87). Mais Mr Grayson prend le voyage de Penelope et Cyprien sous sa coupe. Les deux jeunes aventuriers embarquent donc à bord du Nitocris. :!; (Ces trois derniers signes sont un message d'Edwyn !). Escales à Gibraltar, à Malte et arrivée à Alexandrie avec deux jours d'avance puis direction Le Caire.

« Ces pilleurs de tombeaux sont des barbares et détruisent les plus belles pièces, celles qui nous en racontent le plus. » (page 48).

Cyprien n'est pas ému par les pyramides. « C'était un exploit d'avoir bâti sans grue ni outils modernes ces tas de pierres géométriques, certes, mais pas d'enjolivures, de sculptures ou de colonnes pour agrémenter l'ensemble. Pas même de choses intéressantes à voir quand ils furent à l'intérieur. Les pyramides lui semblèrent sérieuses et austères, vaguement menaçantes. » (page 116). « Non, ça ne lui avait pas plu. Il n'en démordit pas. Comment pouvait-on donc trouver de l'intérêt à se faire égyptologue ? » (page 117). Sacré Cyprien, il aime les grands espaces, la mer, l'océan ! Mais, pour lui qui a perdu la mémoire, le nom de Martha Moreley a réveillé en lui un vague souvenir et il espère pouvoir interroger l'archéologue. « Jamais jusqu'à présent cet oubli de sa jeunesse – de son enfance plutôt – ne l'avait tourmenté. Mais cette nuit, il se sentait comme mutilé d'une partie de lui-même. Ce simple nom avait ouvert devant lui le gouffre de l'amnésie. » (page 60).

Martha Moreley embauche deux jumeaux, les frères Asherton, Gerald est peintre et Brendan est photographe, et récupère Penelope et Cyprien à l'Hôtel Shepheard. « Que le dieu du disque solaire nous accorde un séjour riche de belles découvertes. » (page 134). Mais le groupe est surveillé par Lionel Coulton, le neveu de Martha Moreley, et Douglas Pigott qui veulent s'emparer de trésors...

 

Encore une incroyable aventure pour Penelope Green et Cyprien Bonaventure !

La couverture est très belle, assortie au pays que nous allons visiter avec eux, elle fait bien penser au soleil et au désert.

L'auteur raconte vraiment bien la vie sur un chantier de fouilles, « la soif, la chaleur, les pénibles escalades jusqu'aux tombes, les délicats travaux de déblaiement, de restauration, d'examen pièce par pièce de nos trouvailles, et leur description. » (page 135). Être patient, relever avec précision les hiéroglyphes pour ensuite les décrypter, classer et répertorier tous les objets, ne rien abîmer...

L'Égypte et ses merveilles, ça fait rêver ! On va découvrir Akhet Aton, une cité mythique !

Et même s'il y a moins de dangers et de rebondissements dans ce quatrième tome que dans les précédents, j'aime bien qu'il soit centré en partie sur Cyprien et que celui-ci découvre des choses sur son enfance et ses parents.

Et puis, on rencontre Leïla Nahla, « la princesse du désert », et ses dromadaires, une femme belle, forte, libérée et respectée par tous y compris par les hommes ; Zineb, une jeune esclave nubienne qui ose tenir tête à son nouveau maître (un homme cruel) ; et on découvre Le Caire, immense ville cosmopolite avec ses ruelles, ses grandes maisons aux hauts murs et sa « cité des morts » (le cimetière).

J'attends toujours avec impatience les nouveaux tomes de cette série excellente et charmante. Où ira Penelope dans le prochain tome ? Inde ? Afrique noire ? Amérique du sud ?

 

Une lecture pour les challenges 1 % de la rentrée littéraire 2013, Bookineurs en couleurs (jaune), Jeunesse & young adults # 3, Royal (niveau Reine mère), Voyage dans l'Égypte antique et XIXe siècle.

 

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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 03:45

Le convoi de l'eau est un roman d'Akira Yoshimura paru aux éditions Actes Sud en janvier 2009 (176 pages, 16,30 €, ISBN 978-2-7427-7150-9). Je l'ai lu dans la collection poche Babel paru en mai 2011 (174 pages, 6,50 €, ISBN978-2-7427-9777-6). Mizu no sôretsu (水の葬列 1976) est traduit du japonais par Yutaka Makino.

 

Akira Yoshimura (昭 吉村) est né le 1er mai 1927 à Tokyo (Japon). Il est auteur de plusieurs romans et a reçu de nombreux prix littéraires. Son épouse, Setsuko Tsumura (津村 節子), est également auteur. Il est mort le 31 juillet 2006 (il avait un cancer du pancréas).

 

Dans une vallée encore inexplorée, un hameau de grandes maisons est découvert après le crash d'un bombardier américain durant la deuxième guerre mondiale. Les habitants de ce village sont-ils des descendants de bannis qui vivraient là depuis plus de 300 ans ?

Mais le site de la rivière K. est idéal pour installer des barrages d'exploitation de l'électricité et les travaux du quatrième barrage, le K4, vont commencer.

Pour cela treize ingénieurs et soixante ouvriers sont envoyés à travers cette vallée méconnue, encordés pour éviter un accident.

Le narrateur, qui vient de passer quatre ans en prison, s'est fait embauché parmi ces ouvriers.

Les habitants du hameau vivent différemment, ils ont des traditions, des lois et ne souhaitent pas avoir de contacts avec les hommes du chantier. Que vont-ils faire lorsqu'ils seront expropriés, que feront-ils de l'argent reçu en échange et où iront-ils ?

Plus le narrateur les observe, plus il se sent proche d'eux.

 

« Au fur et à mesure que nous descendions le chemin qui serpentait, le torrent manifestait sa présence dans un murmure qui montait discrètement du ravin entre les arbres dressés à flanc de montagne, tandis que les maisons du hameau apparaissaient enfin dans leur totalité. » (page 14).

« On en fait jamais de manière face à la mort d'un homme sur un chantier. On se contente simplement des formalités indispensables. Se faire écraser par un convoi est fréquent, mais dès que le corps est dégagé, le convoi repart précipitamment sur ses rails et disparaît au fond de la galerie toujours éclaboussée de sang. C'est dire si la conduite des travaux ne tolère aucun arrêt en quelque endroit que ce soit. » (page 26).

« Et même si j'approchais de la quarantaine, j'avais senti le froid me gagner à l'idée que cette cruauté était peut-être restée tout ce temps au fond de moi, formant un noyau dur. » (page 40).

« On leur donnerait une forte somme d'argent pour quitter les lieux. Mais le drame en réalité prenait sa source dans cette indemnité. » (pages 110-111).

« Puissiez-vous vivre des jours paisibles. » (page 130).

 

En lisant ci-dessus les extraits de ce magnifique roman, vous avez peut-être visualisé l'évolution non seulement du récit mais aussi du narrateur. Dans un style sombre et précis, l'auteur décrit avec précision et fluidité la vallée vue d'en haut, le village minuscule en bas au loin, le groupe dans lequel tous (ingénieurs et ouvriers) sont liés (par une corde), la fatigue à cause de la difficile descente et des campements rustiques sur plusieurs jours, le danger continuel (la nature et le chantier), le hameau et la découverte (de loin) de ses habitants, le démarrage des travaux, un accident, un peu de bonheur (une source chaude) avec toujours en toile de fonds la vallée, la nature, l'eau, les arbres, la symbiose entre les habitants et le milieu dans lequel ils se sont confondus.

J'ai lu une interview de sa veuve qui explique qu'il partait seul, dans des endroits reculés, pour observer, s'imprégner de la magie des lieux et pouvoir la retranscrire dans ses romans. Eh bien, c'est vraiment réussi ! C'est même la perfection !

Et puis il y a l'introspection du narrateur (je ne vous dirai pas ce qu'il a vécu et pourquoi il a été en prison, je vous laisse le découvrir), et c'est parce qu'il a vécu cette introspection qu'il peut enfin tourner son regard vers les autres : pas en direction des ouvriers du chantier, non, ils sont trop proches de son passé, de la ville, de sa vie d'avant, non, en direction des habitants du hameau, et il va les épier, les comprendre, les aimer même.

En lisant ce court roman, la mélancolie s'est emparée de moi : d'abord, ce que je lisais était beau, ensuite, ce que j'imaginais n'existait plus, englouti par les eaux, comme dans un mini-déluge. Je crois qu'il existe une mélancolie de l'eau, je n'explique pas trop pourquoi, sûrement parce qu'elle est indispensable, elle est la vie, elle est la mort...

 

Akira Yoshimura était un auteur que je ne connaissais pas et que j'ai découvert grâce à des participants du Dragon 2012 (les liens vers leurs notes de lectures ici). En fait, je le connaissais de nom car le film L'anguille (うなぎ Unagi) réalisé par Shôhei Imamura (今村 昌平) est inspiré de son roman Liberté conditionnelle (仮釈放).

J'ai enfin lu Akira Yoshimura pour le challenge d'Adalana, Écrivains japonais, et je suis très enthousiaste. Je vais lire d'autres titres de lui, c'est sûr et certain !

 

Du même auteur

1990, Philippe Picquier : Les drapeaux de Portsmouth (ポーツマスの旗 Pôtsumasu no hata)

2001, Actes Sud : Liberté conditionnelle (仮釈放 Karishakuhô)

2002, Actes Sud : La jeune fille suppliciée sur une étagère (少女架刑 Shôjo kakei)

2004, Actes Sud : La guerre des jours lointains (遠い日の戦争 Tôi hi no sensô)

2004, Actes Sud-Babel : Naufrages (破船 Hasen)

2006, Actes Sud : Voyage vers les étoiles (星への旅 Hoshi he no tabi) précédé de Un spécimen transparent (とめいひょぼん Tomei hyobon)

2009, Actes Sud : Le convoi de l'eau (水の葬列, Mizu no sôretsu)

2010, Actes Sud : Le grand tremblement de terre du Kantô (関東大震災 Kantôdaishinsai)

2012, Actes Sud : L'arc-en-ciel blanc (白い虹 Shiroi niji)

 

Je mets cette lecture dans les challenges ABC 2012-2013 (lettre Y), Des livres et des îles (Japon), Je lis des nouvelles et des novellas (roman court) et Tour du monde en 8 ans (Japon).

PS du 2 septembre : Monsieur l'a lu et bien apprécié sauf les passages où le narrateur pense à ce qui s'est passé avec son épouse et ses enfants. Ce n'était pas utile, ça fait pièce rapportée, il aurait été préférable que le récit reste documentaire et contemplatif.

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28 août 2013 3 28 /08 /août /2013 03:47

Les Justes est une pièce de théâtre en 5 actes d'Albert Camus parue en 1950 aux éditions Gallimard : dans la collection Blanche en mars 1950 (c'est cette édition que j'ai lue, 212 pages), édition reliée en juin 1950, réédition en septembre 1966, Folio n° 477 en novembre 1973, Folio Théâtre n° 111 en mai 2008, Folio Plus Classiques n° 185 en janvier 2010.

 

Première représentation le 15 décembre 1949 au Théâtre Hébertot (78 bis boulevard des Batignolles, Paris, 18e arrondissement) dans une mise en scène de Paul Œttly (comédien et metteur en scène de théâtre né le 25 juin 1890 à Constantine en Algérie et mort le 17 mars 1959 à Cliousclat dans la Drôme).

 

Albert Camus : je vous renvoie au Lundi philo – 9 : Albert Camus de juin 2013 sur l'homme et l'auteur.

 

Cette note de lecture est différente de celles que je publie généralement. J'ai en fait noté mes réactions en même temps que le résumé et les extraits. Du coup, c'est (très) long (c'est sûrement l'article le plus long que j'aie écrit sur ce blog !). Évidemment, je raconte l'histoire donc ne lisez pas jusqu'au dernier acte si vous souhaitez découvrir un jour ce livre. Mais rassurez-vous, je n'ai pas dévoilé la fin, quand même ! Je ne pourrais pas dire si j'ai fait une analyse poussée de ce récit ou si j'ai simplement donné des idées, des sentiments, mais j'espère que cela vous donnera envie de lire Les Justes et les autres œuvres d'Albert Camus. De mon côté, j'ai adoré cette lecture qui m'a fait réfléchir et je pense que je lirai bientôt Caligula (lecture commune prévue par Heide avec Lee Rony et proposée pour septembre, à confirmer, et si vous souhaitez vous joindre à nous).

 

Moscou, Russie. Février 1905.

Acte 1. « L'appartement des terroristes. Le matin. » (page 12).

Dora Doulebov et Boris Annenkov (surnommé Boria) attendent une visite. Un coup de sonnette puis deux autres coups. C'est lui, c'est Stepan Fedorov ! Il avait été arrêté et il a passé trois ans au bagne avant de fuir pour la Suisse mais il n'y était pas heureux et le parti l'a renvoyé en Russie pour une mission.

« La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre. J'étais libre et je ne cessais de penser à la Russie et à ses esclaves. » (page 16).

L'objectif de ce « groupe de combat du parti socialiste révolutionnaire » (page 19) est de tuer le grand-duc Serge (oncle du tsar) et d'abattre la tyrannie afin de « hâter la libération du peuple russe » (idem).

« Que dois-je faire ? » demande Stepan (page 19) : je m'interroge, est-on libre quand on doit demander ce qu'on doit faire à quelqu'un ? Peut-on penser qu'on va libérer tout un peuple (et le monde entier) quand on n'est pas libre de ses pensées et de ses actes ?

Les camarades pour maintenir la liaison avec le Comité Central sont Alexis Voinov qui était aussi en Suisse et Ivan Kalyayev (surnommé Yanek ou le Poète) : Yanek pense que « la poésie est révolutionnaire » (page 21), Stepan pense que « la bombe seule est révolutionnaire » (idem). Qui a raison ? Ont-ils raison tous les deux ? D'autant plus que Stepan, lui, veut assez de bombes pour faire sauter Moscou ! Un peu mégalomane, non ?

« Tout le monde ment. Bien mentir, voilà ce qu'il faut. » (Stepan, page 26). Ment-on aussi à ses camarades ? Se ment-on à soi-même ? Si on le fait bien, on peut certainement se persuader et persuader les autres qu'on a raison...

« J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre. Maintenant, je suis heureux. » (Alexis, page 28).

Si Alexis a un côté romantique, Yanek est un optimiste, il aime le bonheur : « Il faut être gaie, il faut être fière. La beauté existe, la joie existe ! » (à Dora, page 33).

Stepan veut lancer une des deux bombes sur le grand-duc mais ce sont Alexis et Yanek qui ont été désignés et la règle doit être respectée même si elle est dure : ah, l'exaltation... (Yanek qui aime la vie mais qui pense au sacrifice de sa vie), ah, l'orgueil... (Stepan, qui aime « la justice qui est au-dessus de la vie », page 41).

Mais ils ont une justification qui leur paraît imparable : « nous tuons pour bâtir un monde où plus jamais personne ne tuera ! Nous acceptons d'être criminels pour que la terre se couvre enfin d'innocents. » (Yanek, page 46) : quel orgueil, quelle démence !

« Mourir pour l'idée ; c'est la seule façon d'être à la hauteur de l'idée. C'est la justification. » (Yanek, page 48) : décidément, les terroristes, qu'ils soient politiques ou religieux n'ont qu'un résultat en tête, mourir en emportant d'autres vies (le plus de vies ?) avec eux. Et pourquoi ? Pour l'idée ! Une idée qui leur a souvent été inculquée de force quoi qu'ils en disent (endoctrinement, lavage de cerveau...).

 

Acte 2. « Le lendemain soir. Même lieu. » (page 60).

Dora et Boris sont dans l'appartement. Ils attendent que la calèche du grand-duc passe. Ils sont un peu tristes de ne pas être dans l'action mais Dora fabrique les bombes et Boris est le chef, ils doivent donc rester en vie. Ils ont l'air calme mais ils ont peur. Ils guettent... « Comme c'est long. » (Boris, page 66). Mais rien, pas de bruit, pas d'explosion, que s'est-t-il passé ?

« Frères, pardonnez-moi . Je n'ai pas pu. » (Yanek « dans l'égarement », page 69). Il n'a pas pu, effectivement, parce qu'alors que le grand-duc devait être seul, il y avait des enfants dans la calèche, le neveu et la nièce du grand-duc, ainsi que la grande-duchesse. « Mon bras est devenu faible. Mes jambes tremblaient. Une seconde après, il était trop tard. » (pages 73-74). Le Poète a donc du cœur, il a une âme ! « Boria, je ne suis pas un lâche, je n'ai pas reculé. Je ne les attendais pas. Tout s'est passé trop vite. Ces deux petits visages sérieux et dans ma main, ce poids terrible. C'est sur eux qu'il fallait le lancer. Ainsi. Tout droit. Oh, non ! Je n'ai pas pu. » (page 74).

Chacun comprend Yanek et, pour le réconforter, avoue qu'il aurait fait la même chose mais Stepan, lui, est fort mécontent : deux mois de perdus dans cette mission non accomplie ! « Je n'ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera. » (page 80). Il vient de déplorer la perte de deux hommes (un arrêté et un pendu) et il veut tuer des enfants... Folie...

Le dialogue à ce moment-là est extrêmement intéressant :

« Dora : Ce jour-là, la révolution sera haïe de l'humanité entière.

Stepan : Qu'importe si nous l'aimons assez fort pour l'imposer à l'humanité entière et la sauver d'elle-même et de son esclavage.

Dora : Et si l'humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ?

Stepan : Oui, s'il le faut, et jusqu'à ce qu'il comprenne. Moi aussi, j'aime le peuple. » (page 81).

Voilà, tout est dit. Si le peuple refuse de comprendre et n'accepte pas d'être endoctriné, brimé (d'une autre façon que celle qu'il subit actuellement), on lui imposera l'idée, on lui prouvera qu'il a tort, on le fera taire, on le détruira. Plus loin, Stepan tient en plus des propos sexistes contre Dora qui est la seule femme du groupe. Je pense qu'à l'époque de la parution des Justes, Albert Camus a lancé un pavé dans la mare pour éclabousser tous ceux qui soutenaient haut et fort le régime communiste soviétique. Parce qu'Albert Camus refuse la barbarie ; pour lui, la fin ne justifie pas les moyens et la vie est plus importante que tout. Et je suis d'accord avec lui, d'autant plus qu'on sait ce qu'ont fait ces régimes en Russie, en Chine, au Vietnam, au Cambodge et ailleurs. De plus, Camus a écrit ce texte au sortir de la deuxième guerre mondiale et il y avait eu déjà tant d'horreurs (les camps de la mort, les deux bombes nucléaires sur le Japon, etc.).

Il y a d'ailleurs conflit entre les membres car ils pensent différemment bien qu'ils fassent partie du même groupe, de la même cause :

« Boris : Des centaines de nos frères sont morts pour qu'on sache que tout n'est pas permis.

Stepan : Rien n'est défendu de ce qui peut servir notre cause. » (page 82).

Et plus loin :

« Dora : Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites.

Stepan, violemment : Il n'y a pas de limites. La vérité est que vous ne croyez pas à la révolution. » (pages 84-85).

C'est typique de retourner sa violence (sa haine) contre les autres, de les humilier, de leur faire croire qu'ils ne sont pas dignes...

Mais Yanek n'est pas dupe :

« […] derrière ce que tu dis, je vois s'annoncer un despotisme qui, s'il s'installe, fera de moi un assassin alors que j'essaie d'être un justicier. » (page 85).

Comme il a raison ! Et tout ce qui s'est passé en Russie puis en Union Soviétique (et ailleurs) le prouve. Des millions de gens ont ignoré l'innocence (comme le préconise Stepan page 87) et ont installé une justice bien différente de celle qui avait été pensée au départ, quoique...

Et ces paroles prémonitoires (je rappelle, écrites en 1949) :

« Pour savoir qui, de toi ou de moi, a raison, il faudra peut-être le sacrifice de trois générations, plusieurs guerres, de terribles révolutions. Quand cette pluie de sang aura séché sur la terre, toi et moi serons mêlés depuis longtemps à la poussière. » (Yanek, page 88).

 

Acte 3. « Même lieu, même heure, deux jours après. » (page 96).

Même projet de jeter deux bombes sur la calèche du grand-duc qui va au théâtre. Mais deux jours ont passé, les cerveaux ont cogité, la fatigue s'est accumulée, Alexis a honte, il a peur, et il a honte d'avoir peur, il ne se sent pas capable de rassembler son courage une deuxième fois, il n'a pas la force, il se sent « faible comme un enfant » (page 104), il est désespéré, il se sent lâche, inutile et préfère quitter le groupe. Tiens, lui aussi aurait un cœur, une âme !

De son côté, Yanek est également torturé. Ce n'est pas simple de tuer. Même si on a l'idée et le courage. Il y a la haine aussi. Et la haine, ce n'est pas bon pour le bonheur...

Les personnages sont tous faces à eux-mêmes, ils sont confrontés à leur conscience, à ce qu'ils auraient fait. Ainsi cet acte, axé sur le questionnement, est plus introspectif. Qu'arrive-t-il quand on s'est enfin posé, qu'on a pu faire le point, seul, et qu'on a réfléchi par soi-même, en dehors de toute organisation ? On pense qu'on est lâche mais, en fait, on a plus ou moins compris que tout ça est inutile, futile... Voilà pourquoi les groupes intégristes envoient immédiatement leurs tueurs, sans qu'ils aient le temps de penser par eux-mêmes, de réfléchir à l'inutilité de leur acte, car ils reviendraient sûrement sur leur décision ! D'ailleurs, leur décision... ou la décision que les autres ont prise à leur place ?

Car le peuple que ces terroristes disent aimer, ce peuple... « Le peuple se tait. Quel silence, quel silence... » (Dora, page 118).

Oh ! Au moment où je lisais « Sept heures sonnent. » (page 130), sept heures ont vraiment sonné !

Et quand la calèche du grand-duc passe, il y a une explosion. Boria qui remplaçait Alexis n'a pas jeté sa bombe mais Yanek a lancé la sienne. « Yanek a réussi. Réussi ! O peuple ! O joie ! » (Stepan, page 131). Dora, elle, s'effondre en larmes ; la bombe qu'elle a fabriquée a tué...

 

Acte 4. « Une cellule dans la Tour Pougatchev à la prison Boutirki. Le matin. » (page 134).

Yanek rencontre Foka, un pauvre bougre qui a attrapé une hache et tué trois hommes pour avoir un peu d'eau... Il en a pris pour vingt ans et, accompagné d'un gardien, il nettoie les cellules des autres condamnés. Yanek qui a 23 ans calcule que s'il en prend également pour vingt ans, il en sortira avec les cheveux gris. Foka ne comprend pas l'acte de Yanek, il le voit comme un barine (un homme supérieur, un propriétaire terrien). Pourquoi n'a-t-il pas profité de sa situation ? Pourquoi a-t-il commis pareille folie ? Foka pense que l'idée dont parle Yanek est « le royaume de Dieu » (page 143).

Eh oui, qu'on le veuille ou non, qu'on soit croyant ou non, les idées communistes (partage, communauté, amour, égalité, etc.) sont calquées sur les idées chrétiennes, la violence en plus ! Alors, à quoi bon créer une nouvelle doctrine qui existait déjà ? Parce qu'avec l'athéisme, des penseurs ont voulu une doctrine politique et économique plutôt que religieuse. Et alors, qu'est-ce que ça a donné ? Pareil et même pire !

Mais Foka, se rendant compte que Yanek va être pendu, s'éloigne de lui ; en effet, c'est lui le forçat qui pend les condamnés et en échange de chaque pendu, il gagne une année de liberté. « Oh, ce ne sont pas des crimes, puisque c'est commandé. Et puis, ça leur est bien égal. Si tu veux mon avis, ils ne sont pas chrétiens. » (Foka, page 147). Le bon sens populaire qui n'a que faire d'une révolution... Travail, efficacité, satisfaction, esprit tranquille !

Au moment où le gardien et le prisonnier partent, Skouratov entre dans la cellule de Yanek. Skouratov est « directeur du département de police » (page 150) et il souhaite aider Yanek à obtenir la grâce. Bien sûr, Yanek n'en veut pas, il est fier de ce qu'il a fait au nom du parti, au nom de ses idées, mais Skouratov insiste (il est de toute façon en position de force).

« Que voulez-vous, je ne m'intéresse pas aux idées, moi, je m'intéresse aux personnes. » (page 156).

Évidemment, Skouratov veut que Yanek dénonce ses camarades pour avoir la vie sauve !

« Yanek : Ai-je bien compris ?

Skouratov : Sûrement. Ne vous fâchez pas encore. Réfléchissez. [...] » (page 158).

Yanek ne lâche pas le morceau mais la grande-duchesse veut le voir !

« Yanek : Je ne veux pas la voir.

Skouratov : Je regrette, elle y tient. Et après tout, vous lui devez quelques égards. On dit aussi que depuis la mort de son mari, elle n'a pas toute sa raison. Nous n'avons pas voulu la contrarier. […] La voilà. Après la police, la religion ! On vous gâte décidément. » (page 161).

Quelle préparation mentale ! Et puis, que Yanek soit d'accord pour rencontrer la grande-duchesse ou pas, est-ce lui qui va en décider ? Il n'a aucun pouvoir, en cellule ; ses idées, le parti n'y ont aucun pouvoir !

« Yanek : Taisez-vous.

La grande-duchesse : Pourquoi ? Je dis la vérité. » (pages 165-166).

Pravda. La vérité. Tranchant.

Yanek ne se démonte pourtant pas, il regimbe par ses mots, il ne se sent pas criminel car il a été forcé au crime par ceux qui martyrise le peuple, il voit la grande-duchesse comme une figure religieuse donc une ennemie, il ne veut pas prier, il ne veut pas se repentir, il ne veut pas de la Sainte Église, il veut mourir, il veut mériter et accepter son jugement et son sort. Mais l'amour et la douleur les réunit en paroles et la grande-duchesse est plus maline que lui :

« La grande-duchesse : Je vais vous laisser. Mais […] Je demanderai votre grâce.

Yanek : Je vous en supplie, ne le faites pas. Laissez-moi mourir ou je vous haïrai mortellement.

La grande-duchesse : Je demanderai votre grâce, aux hommes et à Dieu.

Yanek : Non, non, je vous le défends. » (page 175-176).

Yanek a le dernier mot en paroles mais la grande-duchesse aura le dernier mot en acte. Quelle classe, cette grande-duchesse ! Quelle femme ! Quelle grandeur d'âme ! L'âme de la Russie !

Mais qui aura le dernier mot tout à la fin ? Skouratov a pensé à un plan diabolique.

« J'attendrai la défaillance. […] Ne vous pressez-pas. Je suis patient. » (page 178).

 

Acte 5. « Un autre appartement, mais de même style. Une semaine après. La nuit. » (page 180).

Dora, Boris, Alexis (de retour) et Stepan attendent de connaître la décision du tsar. Yanek s'est-il repenti comme la grande-duchesse l'a fait dire partout ? A-t-il demandé sa grâce ? Les a-t-il trahis ? Ou faut-il croire ce qu'il a dit au Tribunal et ce qu'il leur a écrit ? Doute... Espoir... Effroi... Colère...

« La Russie entière est en prison. Nous allons faire voler ses murs en éclats. » (Boris, page 195).

« […] il faut marcher. On voudrait s'arrêter. Marche ! Marche ! » (Dora, page 196).

Camper sur ses positions pour ne pas avoir peur, pour ne pas se sentir coupable, et aller au bout de la colère et de la folie car on ne peut ni s'arrêter ni faire demi-tour...

 

Je sais que mon article est très long mais c'est venu comme ça en lisant Les Justes, une œuvre qui paraît simple mais qui est d'une grande profondeur, importante (indispensable même) et complexe tout en étant abordable et agréable à lire. Camus, bien que venant d'une famille pauvre, était considéré par les socialistes comme un moraliste, donc un bourgeois qui écrivait contre le peuple qu'il avait rejeté et trahi. Pourtant, plus de 60 ans après cette pièce, on sait ce qui s'est passé en Union Soviétique (et ailleurs), pas tout mais ce qu'on sait est déjà plus qu'horrible, et j'imagine le courage qu'il a fallu pour écrire, publier et jouer cette pièce, le parti communiste étant à l'époque très puissant et les intellectuels le soutenant fort nombreux. Respect, monsieur Camus.

 

Une lecture pour le challenge Un classique par mois.

 

PS : cet article contient 3077 mots et 13870 caractères (16870 caractères en incluant les espaces, soit 300 espaces).

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16 août 2013 5 16 /08 /août /2013 00:32

Jumelles est un roman de Saskia Sarginson paru aux éditions Marabout dans la collection Marabooks en juillet 2013 (384 pages, 19,90 €, ISBN 978-2-501-08169-6). The twins (2013) est traduit de l'anglais par Jérémy Oriol.

 

Je remercie Pauline et les éditions Marabout pour ce roman qui m'a enchantée.

 

Saskia Sarginson … Rien trouvé alors voici ce qu'en dit l'éditeur : « Saskia Sarginson a grandi dans le Suffolk. Diplômée de littérature anglaise à l'université de Cambridge, elle a également un diplôme de mode et design. Elle a travaillé pour la presse magazine, la radio et l'édition, mais se consacre désormais totalement à l'écriture. Elle a quatre enfants – dont des jumelles – et vit à Londres. »

 

Isolte (Issy) et Viola sont nées en 1960. Leur mère, Rose Love, une hippie, a vécu dans une communauté au Pays de Galles et les jumelles ne savent pas qui est leur père. Mais elles savent que leur mère l'a rencontré durant son voyage aux États-Unis, lors d'un festival en Californie, alors elles pensent que c'est Jim Morrison. Rose leur dit que non, mais après la mort du chanteur, elle décide de quitter la communauté et de vivre avec ses filles dans le Suffolk, près d'une forêt. Là, Issy et Viola rencontrent deux jumeaux, Michael et John Catchpole, qui deviennent leurs amis. Ils sont inséparables mais évidemment la vie va les séparer.

1984. Alors qu'Isolte devient rédactrice de mode et gagne bien sa vie, Viola vit dans un squat à Brixton avec des inadaptés et se croit elle aussi inadaptée. « Elles avaient vingt-quatre ans maintenant. Un âge où on était sensé construire sa vie, penser à l'avenir. Et Viola, elle, avait le doigt posé sur le bouton autodestruction. » (page 88).

Mars 1987. Issy, apparemment heureuse, fréquente depuis un an Ben, un photographe de mode. Viola est hospitalisée pour la troisième fois. « L'hôpital est un autre monde. Le temps y est différent, les heures se traînent lentement dans un espace sans climat. » (page 20). L'anorexie de Viola, qui ne supporte pas Londres, a commencé chez leur tante Hettie qui les a recueillies. « Bien sûr, Isolte sait pourquoi elle le fait : elle fuit leur passé, se soustrait à la culpabilité, aux souvenirs. Viola cherche à s'effacer, petit à petit. Elle n'aura atteint son but que lorsqu'elle aura disparu tout à fait. » (page 40).

1972. Rose s'occupe bien de ses filles mais elle boit beaucoup. Au milieu de la nuit, elle va à la mer et s'enfonce dans l'eau. « Elle s'est noyée dans la mer. Une nuit. Elle était soûle, mais ce n'était pas un accident. On a retrouvé des cailloux dans ses poches. » (page 59).

 

Je ne vais pas en dire plus dans ce résumé pour ne pas vous gâcher le plaisir de la lecture et de la découverte. La plus malheureuse des deux jumelles n'est peut-être pas celle que l'on pense. Chacune affronte la vie à sa façon. Et ce roman, avec ses flash backs, est vraiment bien construit. Petit à petit le lecteur découvre ce qui s'est passé et comment Isolte et Viola en sont arrivées là. En effet, les souvenirs et la vie d'Isolte alternent avec ceux de Viola : elles ont vécu les mêmes événements mais, même en étant jumelles et si proches l'une de l'autre, elles ne perçoivent pas et ne ressentent pas les choses de la même façon, du coup elles prennent chacune un chemin différent qui les éloigne de plus en plus.

 

Quelques extraits

« Le magazine, c'était plus que son lieu de travail : c'était son identité, sa maison. Cela fait cinq ans qu'elle y est. » (page 102). « Voilà comment on récompense la loyauté, se dit-elle. En fin de compte, elle n'était rien d'autre qu'un rouage de la machine. » (page 103).

« Londres empeste les corps et les gaz d'échappement, les produits chimiques et la pourriture. » (page 123).

« Vous savez, dit-elle en élevant la voix comme si elle s'adressait à toute une foule et pas simplement à nous, c'est nous qui décidons de notre façon de vivre, c'est notre droit : rien ne doit nous faire craindre d'être libres. Jamais. » (page 249).

« La mer avale les choses, se dit-elle, puis la mer les rend. » (page 303).

 

À travers ce roman – un premier roman étonnant et intense ! – l'auteur aborde avec sensibilité l'enfance, la gémellité, l'absence du père, le traumatisme (tuer le chevreau d'une de leurs deux chèvres pour le manger), l'arrivée d'un homme (dans la vie de leur mère), la disparition d'une fillette, le suicide de la mère, l'abandon de leur chez-soi, la séparation d'avec leurs amis, l'arrivée dans une grande ville polluée chez une quasi-inconnue, la culpabilité, le déni, l'adolescence et l'anorexie, l'éloignement entre jumeaux, le monde impitoyable du travail, l'amour, bref la complexité de la vie. De plus, l'auteur connaît bien sa région et décrit admirablement bien le Suffolk, ce qui ne gâche rien au plaisir de lecture.

 

Un coup de cœur pour moi que ce roman (j'en ai eu peu depuis le début de l'année) ; je l'ai lu en deux fois et je l'ai terminé dans la nuit car je ne pouvais pas m'arrêter ! Les personnages étaient tellement présents que j'avais l'impression qu'ils étaient là, que je les connaissais et que je faisais partie de l'histoire ! Je vais suivre Saskia Sarginson avec attention.

 

Une lecture pour le Cercle de lecture de Tête de Litote (plus de 350 pages) et les challenges God save the livre, Premier roman et Voisins voisines.

 

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